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en France. On ignore ce qu’il est devenu. Pierre de Médicis, l’indigne fils de Laurent, engagea Michel-Ange à reprendre son appartement dans son palais ; il le consultait souvent pour l’achat de pierres gravées, de parures et d’objets d’antiquité. Pierre comprenait sans doute à sa manière le mérite de son hôte, car il l’occupait à faire des statues de neige, et il se vantait d’avoir chez lui deux hommes rares, Michel-Ange et un valet espagnol qui, à une merveilleuse beauté de corps, joignait une telle agilité qu’un cheval lancé à fond de train ne pouvait le devancer.

Pierre de Médicis, avec les qualités extérieures les plus brillantes, manquait du discernement, de l’adresse, de l’esprit affable et bienveillant qui avaient consolidé la fortune de son père et en avaient fait le maître réel de Florence. Son arrogance devenait de jour en jour plus insupportable. Le parti populaire se réveillait, et Savonarole tendait la main à Charles VIII. La chute de Pierre était imminente. Michel-Ange, ne voulant ni le combattre, ni le soutenir en combattant ses propres amis, ni garder une neutralité que son amitié pour Laurent et ses relations avec Pierre eussent rendue suspecte, quitta Florence et se rendit à Venise. N’ayant pas trouvé à s’occuper dans cette ville, il revint à Bologne, où un hasard heureux lui fit faire la connaissance d’Aldovrandi, l’un des membres du conseil des seize, qui lui commanda quelques travaux. Aldovrandi retint Michel-Ange plus d’une année, le comblant d’amitié et d’égards, et, a charmé de sa belle prononciation, lui faisant lire Dante, Pétrarque, Boccace et d’autres poètes toscans. »

De retour à Florence en 1495, Michel-Ange fit, outre une petite statue de saint Jean, le fameux Amour endormi, qui fut l’occasion de son premier voyage à Rome. Les biographes ont beaucoup insisté sur l’anecdote un peu puérile qui concerne cette statue, et si je la rappelle en quelques mots, c’est à cause de l’influence réelle que le séjour de Michel-Ange dans la ville éternelle eut sur la suite de sa vie. Laurent, fils de Pierre-François de Médicis, ayant vu cette figure, la trouva si belle qu’il conseilla à Michel-Ange de lui donner un air de vétusté en l’enterrant, de l’envoyer à Rome, où elle passerait sûrement pour antique, et où il la vendrait beaucoup plus cher qu’à Florence. Le cardinal San-Giorgio y fut pris, acheta la statue ; mais, ayant appris qu’il avait été dupe d’une supercherie, il envoya l’un de ses gentilshommes pour en découvrir l’auteur, et, furieux d’avoir été trompé, rompit le marché et reprit son argent. Tel est le récit de Vasari, qui paraît cependant ne pas croire que Michel-Ange se soit prêté à cette plaisanterie, et qui ajoute que, malgré sa colère, le cardinal avait fait venir Michel-Ange à Rome, où il le laissa, il est vrai, un an sans l’employer. Une très curieuse lettre écrite par Michel-Ange à Laurent de Médicis, le même probablement qui fut ambassadeur en France, aussitôt après son arrivée à Rome, et dont le texte se trouve dans la dernière édition de Vasari, complète et redresse le récit du biographe ; elle montre en outre que dès sa première jeunesse Michel-Ange était animé de cette honnêteté scrupuleuse qui resta la règle de sa vie. Il ne faut pas moins de tout le bruit que fit cette affaire pour nous convaincre qu’à la fin du XVe siècle et à Rome on ait pu prendre une statue du jeune maître flo-