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le feu. Qu’importe que la main sacrifie, si la pensée condamne la main ? » Au milieu de ses effusions d’enthousiasme religieux adressées au soleil, visible image du Dieu intelligible, il écrivait : « Je ne veux point, par tous les dieux ! je ne veux point ni que l’on tue, ni que l’on frappe les chrétiens contre le droit et la justice, ni qu’on leur fasse souffrir aucun mal… Ces gens sont encore pieux, du moins en partie, puisqu’ils honorent celui qui est en réalité tout-puissant et qui régit le monde visible. Et nous aussi, nous l’adorons, je l’atteste, mais sous d’autres noms. » Julien valait mieux que son œuvre, comme Constantin valait moins que la sienne ; il valait mieux que ce paganisme incapable de la régénération morale que l’empereur attendait de lui, et qui, tandis que Julien s’efforçait de le faire revivre, aimait mieux mourir. Toutefois les païens, dont les tendances morales que Julien cherchait à leur imprimer provoquaient les sarcasmes, avaient une autre manière de prouver leur dévotion aux dieux : c’était de violenter et de massacrer les chrétiens. C’est ce qui eut lieu loin des yeux de l’empereur dans plusieurs villes de l’Orient. Rien ne constate qu’il ait approuvé ces violences ; mais il eût dû les punir, et on ne voit pas qu’il l’ait fait. Du moins il supporta avec un grand calme les apostrophes véhémentes d’un vieil évêque aveugle qui s’était transporté dans un temple de Chalcédoine pour l’y braver et l’injurier. Il adressa plus d’un mot spirituel à ceux qui ne le trouvaient pas assez prompt à persécuter.

Je sais bien qu’il y a dans l’ouvrage de M. de Broglie un chapitre intitulé : Julien persécuteur. Cependant je ne puis charger Julien du crime de persécution violente. Dans ce chapitre, M. de Broglie me paraît admettre avec une critique moins sévère que de coutume les allégations des écrivains ecclésiastiques suspects de passion, et les Actes des martyrs, qui ne sont pas articles de foi. Dans quelques-uns de ces actes, Julien interroge et condamne lui-même les martyrs. Le dialogue y semble une reproduction de ceux que l’on trouve ailleurs, et l’empereur y parle un langage renouvelé de Décius ou de Dioclétien, et qui ne ressemble point à celui qu’il tient dans les documens authentiques. Même en admettant la vérité de ces récits, dans la plupart d’entre eux on ne voit pas que Julien ait ordonné les meurtres dont M. de Broglie le rend responsable. Si saint Basile d’Ancyre fut mis à mort par le comte Frumentin, il n’est fait dans les actes de ce saint mention d’aucun ordre de Julien. Si Artemius, gouverneur d’Alexandrie, fut massacré par la populace de cette ville, sur laquelle « il avait fait peser indifféremment le poids de sa tyrannie, » est-il juste de voir dans ce misérable et son complice George des martyrs du christianisme, parce qu’ils furent accusés, afin sans doute d’éloigner d’eux la protection impériale, d’avoir eu le dessein invraisemblable, et que saint Athanase