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contre la prétention des évêques occidentaux à juger de nouveau ce que des évêques d’Orient avaient décidé, et parmi ceux qu’il séparait de sa communion était l’évêque de Rome, le pape Jules. Comme le marque très justement M. de Broglie, « au fond, le débat qui s’engageait avec une vivacité toujours croissante, c’était l’unité de l’église chrétienne. Or cette unité, l’église ne pouvait la fonder que sur son indépendance. Ceux qui voulaient cette indépendance comprenaient très bien que la papauté en était la meilleure garantie ; les autres glorifiaient l’empereur et excommuniaient le pape. »

Mais une difficulté d’une espèce nouvelle allait se présenter, la faiblesse momentanée du chef naturel des orthodoxes, du pape Libère lui-même ; l’artificieux Constance était parvenu à l’ébranler et à lui faire soumettre encore une fois à un concile la cause de saint Athanase, tant de fois jugée. Libère envoya des légats à Arles, où était Constance ; ils y trouvèrent un certain nombre d’évêques serviles qui, devant l’empereur présent et irrité, condamnèrent précipitamment saint Athanase. Les légats du pape eux-mêmes se laissèrent entraîner. La désolation de Libère fut extrême : il désavoua ses légats, mais le mal était fait ; fort de leur adhésion, Constance ne garda plus de mesure, et la cause de l’arianisme fut gagnée. Le concile de Milan vit son triomphe ; cette fois il s’agissait d’écraser saint Athanase, l’intraitable défenseur de la foi de Nicée. Tout l’effort de l’empereur était dirigé contre ce grand homme. « De Milan à Alexandrie, dit éloquemment M. de Broglie, il n’y avait que deux têtes levées qui se faisaient face l’une à l’autre : Constance, le maître du monde, et Athanase, le serviteur de Dieu. » La session fut turbulente ; le peuple de Milan prenait une vive part à ces débats. Assemblé devant la porte de l’église où se tenait le concile, il criait : « A bas les ariens ! » Dans l’intérieur de l’assemblée, un évêque récalcitrant fut arraché de son banc par la force armée ; c’était le fougueux Lucifer, évêque de Cagliari. Le lendemain, le peuple criait : « Où est Lucifer ? Qu’on nous rende Lucifer ! » Les évêques furent mandés au palais pour y recevoir la condamnation d’Athanase des mains de l’empereur, qui, ayant des prétentions littéraires, s’était donné la peine de la rédiger lui-même. Caché derrière un rideau, il écoutait les objections ; tout à coup l’impérial auteur se montre : « La doctrine que vous condamnez, s’écrie-t-il naïvement, est la mienne. Si elle est fausse comme vous le dites, d’où vient donc que Dieu, secondant mes armes, a mis le monde entier sous ma loi ? » L’argument était peu théologique ; mais il arrive aux souverains heureux de prendre le fait que Dieu permet pour le droit qu’il tarde à venger. L’évêque de Cagliari, sorti de prison la veille, répondit à l’empereur : « Votre doctrine est celle d’Arius… Votre puissance et vos succès ne prouvent rien en sa faveur. L’Écriture est pleine de souverains