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mort, de la mort aux plus affreux supplices… Ce qui rendait nécessaire le déploiement de cette effroyable énergie, etc. » De la part d’un écrivain dont les sentimens seraient plus douteux, l’emploi répété de ces mots : nécessité, nécessaire, en parlant d’une férocité qui fut inutile, et cette expression : effroyable énergie, que je n’aime pas mieux ici qu’à propos des échafauds de 93, me scandaliseraient, je l’avoue, et bien que de tels mots ne puissent être mal interprétés sous la plume de M. de Broglie, j’aimerais encore mieux qu’il ne s’en fût pas servi.

Mais de nouveaux temps s’approchent ; celui qui doit donner au christianisme la liberté et la puissance, Constantin, a paru. Évidemment M. de Broglie est favorablement disposé pour le prince qui accomplira cette œuvre providentielle. Il met en relief sa vaillance, n’oublie pas un certain air royal qui respirait en lui et sa taille majestueuse, détails que ne confirme point la statue de Constantin qu’on voit à Rome sous le portique de Saint-Jean-de-Latran. Il n’est donc pas mal disposé à l’endroit du premier empereur chrétien, et quand il aura à l’accuser, ses accusations ne seront pas suspectes. Les motifs politiques qui purent porter Constantin à embrasser le christianisme ne sont peut-être pas assez indiqués. Ce que je crois parfaitement vrai, c’est qu’il n’y fut pas amené seulement par des considérations politiques. L’état de son âme dut concourir à lui faire prendre ce grand parti. M. de Broglie pénètre heureusement dans le cœur encore incertain de Constantin marchant sur Rome, où il allait combattre Maxence. « Au moment où il élevait vers le ciel la prière dont sa destinée allait dépendre, il se demanda avec anxiété de quel dieu il allait implorer l’assistance. Il tomba alors dans une méditation rêveuse sur les vicissitudes politiques dont il avait été lui-même témoin. Il considéra que dans sa courte existence il avait déjà vu disparaître trois des hommes qui avaient partagé avec lui le pouvoir suprême. Hercule et Sévère avaient péri par le glaive, et Galère dans les tourmens. Tous avaient placé leur confiance dans la multitude des dieux, orné leurs autels et consulté leurs oracles ; leurs dieux les avaient laissés sans appui au moment du péril. Deux expéditions déjà dirigées contre l’usurpateur de Rome sous les auspices de tous les dieux avaient échoué misérablement. Son père Constance au contraire, secret adorateur du Dieu unique, avait fini ses jours en paix et légué son pouvoir à sa descendance. Constantin se décida à prier le Dieu de son père de prêter main-forte à son entreprise. » Cette espèce de monologue assez vraisemblable de Constantin se termine par la vision du labarum, tradition rapportée par Eusèbe, mais dont la piété de l’auteur ne le force point d’affirmer la certitude.