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conditions avantageuses pour faire ce résumé, qui ne dicte pas le verdict des jurés, mais les met en état de le prononcer.

Notre siècle peut être impartial au moins quand il s’agit de sujets aussi éloignés de lui que l’église et l’empire au IVe siècle. Ce n’est pas qu’il n’y ait encore quelques ennemis acharnés du christianisme dans l’histoire qui le rendent responsable de toutes les fautes de l’église, et à qui le souvenir ou le spectacle de ces fautes fait perdre la mémoire de tout le bien qu’elle a pu faire au monde. D’autre part, il est des hommes qui ne veulent pas qu’on touche à l’histoire de l’église, comme si on ne pouvait y toucher sans ébranler la religion elle-même. Les attaques violentes et iniques dont le livre que je vais examiner a été l’objet l’ont trop prouvé ; mais ces deux tendances extrêmes ne sont ni l’une ni l’autre dans l’esprit de notre temps. Notre temps n’est ni systématiquement hostile à l’église ni aveuglément passionné pour elle. Dans ces matières, pour beaucoup l’impartialité est rendue facile par l’indifférence. Quant à l’auteur de l’Église et l’Empire au quatrième siècle, il est habituellement impartial sans être jamais indifférent, ce qui vaut beaucoup mieux, car l’impartialité produit la lumière, et l’indifférence éteint la flamme. M. Albert de Broglie est un zélé champion du catholicisme, il marche au premier rang dans cette généreuse phalange de chrétiens convaincus et ardens qui n’ont pas cru que, pour soutenir la cause de la religion, il fallût déserter la cause de la liberté. Il est libéral dans la véritable acception du mot. À des croyances très arrêtées, il unit une grande largeur d’esprit ; il ne veut pas servir la cause pour laquelle il a si vaillamment et toujours si courtoisement combattu en rétrécissant et en mutilant l’histoire. Soumis au dogme, il discute les faits. Docile enfant de l’église en matière de foi, hors de là il juge sans timidité, franchement, loyalement, les événemens et les hommes.

M. de Broglie commence par mettre en présence ses deux personnages, l’empire et l’église. L’empire romain est bien peint, bien jugé, énergiquement flétri. La fiction hypocrite par laquelle Auguste, en laissant subsister le nom de toutes les magistratures, s’attribua tous les pouvoirs, est justement appelée le mensonge politique d’Auguste, et l’impuissance de cette fiction à fonder même un despotisme régulier est démontrée par la triste condition de l’empire et des empereurs. Seulement il m’est impossible de prendre au sérieux l’édit de Caracalla accordant le droit de citoyen à tous les hommes libres de l’empire, quand il n’y avait plus dans l’empire ni citoyens ni liberté. Je ne puis pas admirer non plus l’esprit d’égalité que les jurisconsultes de cette époque introduisirent dans la loi romaine, car cette égalité était celle de la servitude. Je