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de large. Cependant le sol est si bas que les moindres inégalités du terrain retiennent l’eau de pluie, et les grandes averses font de la Nouvelle-Orléans comme une autre Venise : aussi faut-il avoir recours à la force de la vapeur pour assécher la ville, et de puissantes machines absorbent continuellement l’eau stagnante pour la revomir dans un affluent du lac appelé le bayou Saint-John. Même par un temps sec, le sol est rendu humide par l’absorption capillaire, et pendant l’été prolongé de 1855 on remarqua comme un fait surprenant que des fossés d’un mètre de profondeur restaient dépourvus d’eau. Pour né pas déposer les cadavres dans la boue, les Louisianais sont obligés de se conformer à la coutume espagnole et d’élever dans leurs cimetières de longues rangées de cryptes à plusieurs étages, où les morts sont rangés en ordre comme des livres dans une bibliothèque ; même dans ces cryptes, l’air est tellement humide qu’il lui suffit parfois de vingt années pour ronger complètement les cadavres ou n’en laisser que des restes méconnaissables. Il est évident que sur un pareil sol les constructions doivent être très légères afin de ne pas s’enfoncer et disparaître ; aussi les maisons étaient autrefois construites en bois, et maintenant on donne très peu d’épaisseur aux murailles de briques. La nouvelle douane, grand édifice auquel on travaille depuis une douzaine d’années, a été fondée sur un magnifique système de pilotis de 25 mètres de longueur, et cependant un simple revêtement de granit a fait baisser l’une des façades de près d’un pied ; il a fallu changer les plans et donner à l’édifice une toiture en fer. Dans un avenir assez rapproché, il est certain que le fer aura remplacé le bois et la brique.

À part l’humidité du sol et l’atmosphère miasmatique, la Nouvelle-Orléans offre la plus belle position commerciale qu’il soit possible d’imaginer, et Bienville a montré une intelligence vraiment divinatrice quand il fonda la première baraque sur l’emplacement de la ville actuelle. Placée à une certaine distance de l’embouchure et cependant assez rapprochée du point où le fleuve se divise en plusieurs branches, elle domine à la fois le commerce de l’intérieur et celui de l’extérieur, et tous les produits, toutes les marchandises viennent forcément s’y échanger. En même temps elle est située sur la partie la plus étroite de l’isthme, entre le fleuve d’un côté, les lacs Pontchartrain et Borgne de l’autre, de sorte que son commerce peut rayonner vers la mer par trois voies. Quand la route des lacs sera utilisée comme elle devrait l’être, la Nouvelle-Orléans jouira de l’immense avantage d’être à la fois port de rivière et port de mer.

Le commerce de la capitale des états du sud est immense, et le transport des cotons, des farines, des viandes, y occupe un grand