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l’état donne seul un peu de vie temporaire. Les petites collines de Bâton-Rouge forment une barrière bien peu élevée, impuissante en apparence pour résister à un fleuve comme le Mississipi, et cependant ce léger renflement du sol a suffi pour empêcher tout un golfe de la mer d’être comblé par les alluvions. Sur la rive droite ou occidentale, les plaines marécageuses de la Louisiane se projettent dans le golfe du Mexique à 200 kilomètres vers le sud ; sur la rive gauche ou orientale, le contraire a lieu, et la mer avance dans l’intérieur du continent par un golfe d’abord, et puis par des lacs d’eau saumâtre qui sont évidemment des restes de l’antique Océan. Durant les âges géologiques, tandis que le Mississipi promenait ses eaux dans la plaine, et par chacune de ses oscillations à droite ou à gauche prolongeait le continent aux dépens du golfe, la partie de la mer abritée derrière les petites collines de la rive gauche ne diminuait que très lentement en superficie, et ne recevait d’alluvions que par les petites rivières qui s’y jettent et les crevasses latérales produites par le fleuve pendant la saison des crues. Dans l’état topographique actuel de la Louisiane, il faudrait un nombre incalculable de siècles pour que le Mississipi pût combler d’alluvions les lacs Borgne, Pontchartrain et Maurepas, et si jamais ils sont remplis, ce sera probablement grâce à l’intervention de l’homme. Maintenant il est encore impossible de songer à ce travail gigantesque, mais quand la Louisiane sera riche et peuplée, on saura faire travailler le Mississipi comme un puissant esclave ; on lui commandera de jeter des campagnes fertiles là où s’étendent maintenant les eaux stagnantes, d’approfondir des canaux là où les bancs de sable interceptent la navigation, d’assainir un pays dans l’atmosphère duquel nagent tant de miasmes. Peu d’années suffiraient pour transformer ce pays, car, en admettant que le lac Pontchartrain ait une superficie de 2,382 kilomètres carrés et 4 mètres de profondeur moyenne, les 6 mètres cubes de boue que le Mississipi charrie par seconde pourraient le combler entièrement dans l’espace de cinquante ans. Qu’on ouvre seulement un grand canal de dérivation, et en moins d’un siècle une vaste nappe d’eau, assez vaste pour qu’en se plaçant au centre on voie difficilement à l’horizon les hautes forêts du rivage, sera complètement supprimée et remplacée par des champs de coton et des villages florissans. Un bon système de canaux creusés et entretenus dans le bassin occupé par le lac serait bien plus utile et moins dangereux pour la navigation que le lac lui-même, avec ses courans perfides et ses bas-fonds changeans. Nulle part l’homme ne pourra obtenir de plus beaux résultats avec des moyens plus simples, et plus facilement adapter la terre à son état social.