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et au commerce une existence que leur refuse l’exploitation de la terre. Ainsi les grandes propriétés se constituent aux dépens des créoles français : on cite telle paroisse dont tous les habitans étaient, il y a quinze ans, d’origine française, et dont la population actuelle se compose uniquement de Yankees. Bien plus, comme frappés de démence, les créoles veulent s’annihiler de gaieté de cœur. Dans le mouvement know-nothing qui agita si violemment les États-Unis à la fin de la présidence tde. M. Pierce, presque tous les créoles se prononcèrent en faveur du nativisme, oubliant qu’eux aussi, par leur langue et leurs noms, étaient coupables de péché originel, qu’ils seraient toujours des étrangers aux yeux des Anglo-Saxons, et que toutes leurs victoires comme parti ne pourraient aboutir qu’à leur suppression comme race.

Les nègres créoles s’en vont comme les blancs créoles, et ne se trouvent maintenant en grand nombre que dans les plantations reculées. La plupart des nègres sont importés du Maryland, du Kentucky et surtout de la Virginie, ce grand haras des états à esclaves. Ces nègres, amenés du nord et connus sous le nom de nègres américains, sont moins naïfs, moins dévoués à leurs maîtres et beaucoup plus intelligens que les nègres créoles. Nous ne voulons pas toucher ici à la question si brûlante de l’esclavage ; nous constaterons seulement un fait certain, le progrès constant des nègres dans l’échelle sociale : même sous le rapport physique, ils tendent sans cesse à se rapprocher de leurs maîtres. Les nègres des États-Unis n’ont plus le même type que les nègres de l’Afrique ; leur peau est rarement d’un noir velouté, bien que presque tous leurs ancêtres aient été achetés sur les côtes de Guinée ; ils n’ont pas les pommettes aussi saillantes, les lèvres aussi épaisses, le nez aussi épaté, la laine aussi crépue, la physionomie aussi bestiale, l’angle facial aussi aigu que leurs frères de l’ancien monde. Dans l’espace de cent cinquante ans, ils ont, sous le rapport de l’apparence extérieure, franchi un bon quart de la distance qui les séparait des blancs. À l’étranger qui débarque pour la première fois en Louisiane, il semblerait même que le teint des blancs, aussi bien que celui des noirs, se rapproche de plus en plus de celui des peaux-rouges. Si d’autres influences ne contre-balançaient celle du climat, il se pourrait bien qu’après un certain laps de siècles les Américains eussent tous sans exception la couleur des aborigènes, leurs ancêtres fussent-ils venus de l’Irlande, de la France ou du Congo.

Le développement intellectuel et moral des nègres est bien plus remarquable encore que leur progrès physique : nombre d’entre eux sont déjà nés à la dignité d’hommes libres. On s’en aperçoit à leurs regards remplis d’une haine calme et réfléchie, qui tôt ou tard