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en laissant des rides allongées onduler derrière elles. Malgré le nombre immense des serpens, les accidens sont rares en Louisiane, car tous ces ophidiens sont inoffensifs, à l’exception du redoutable serpent à sonnettes, du bâtard sonnettes et du congo. Le serpent à sonnettes (crotalus horridus) atteint quelquefois une longueur de quatre mètres, et peut arriver à l’âge de vingt et vingt et un ans, puisqu’on a vu des serpens ayant ce nombre de sonnettes, vertèbres nues situées à l’extrémité de la queue. À cet âge, l’animal est lent dans ses mouvemens, et bien que sa tête soit grosse comme celle d’un chat, son venin est en réalité moins terrible que celui des petits serpens.

Parmi tous ces reptiles, depuis l’alligator jusqu’au serpent à sonnettes, il en est certainement de hideux et d’effrayans ; mais le fléau, la calamité, la malédiction de la Louisiane, ce qui change parfois la vie en un martyre de tous les instans, c’est un petit insecte, le maringouin. Rien ne le tue, ni les pluies, ni les sécheresses, ni la chaleur de l’été, ni le froid de l’hiver : le jour, on le voit partout volant par essaims ; la nuit, on entend sans relâche le bourdonnement importun de ses ailes ; il s’insinue à travers les fentes les plus étroites, il pénètre sous les voiles les plus épais, et se précipite sur sa victime en exécutant avec ses ailes une petite fanfare victorieuse. Sur les bords des eaux courantes, vivent comparativement peu de maringouins ; mais dans les plantations entourées de marécages le nombre en est tellement immense, qu’il est presque impossible de rester en place ; même pour lire, il faut avoir recours à une marche rapide, et pendant les repas un grand chasse-mouche balancé au-dessus de la table empêche les maringouins de s’attabler en même temps que les convives. Sur les rives du lac Pontchartrain, un étranger ne pourrait sans devenir fou passer plusieurs soirées en plein air : autour de lui, des nuages de maringouins germent incessamment dans les flaques d’eau croupissantes et grouillantes de vers ; à chaque pas, il voit une nouvelle masse noire s’élever avec un bourdonnement sinistre ; bientôt il est couvert d’insectes acharnés qui le transpercent de leurs mille dards et boivent son sang par mille blessures ; qu’il les chasse ou qu’il les écrase, d’autres plus avides viennent à la curée, et bientôt il ne lui reste plus qu’à courir en aveugle sur le bord du lac, furieux, désespéré, comme le cheval des savanes poursuivi par le taon. Dans ces tristes régions, les planteurs, pour éviter d’être harcelés sans cesse, tâchent autant que possible de passer leur vie sous une enveloppe de gaze ; quant aux nègres, ils se badigeonnent d’argile avant d’aller sarcler dans les champs de cannes ; pour tous, la vie est un martyre. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il y ait souvent une différence de