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qui l’élève si fort au-dessus de ces pompeuses monarchies rivales des cours asiatiques. Elle a, non pas constamment, mais fréquemment fourni à l’opinion publique d’énergiques représentant et à la liberté des confesseurs intrépides. Si donc on dit que faute d’une aristocratie la liberté constitutionnelle ne saurait parmi nous s’établir de la même manière que chez nos voisins, c’est trop évident pour y insister. Il est trop tard pour faire signer une grande charte. La transformation de la féodalité britannique ne peut plus être recommencée sur notre sol, si nous ne rajeunissons de quelque cinq cents ans. Sans nul doute, jusqu’en 1789, l’aristocratie française, si ces deux mots peuvent être accouplés, n’a rien fait pour les libertés publiques. Ces lieux communs de l’histoire n’ont plus besoin d’être redits ; ils sont l’expression d’une des causes qui ont empêché la France de devenir libre aussitôt que sa voisine, d’une des raisons pour lesquelles la crise du milieu du XVIIe siècle, si féconde pour l’un des deux pays, a été pour l’autre si stérile. Nul doute que la France n’ait pris alors un autre chemin ; mais le point est de savoir si plusieurs chemins peuvent conduire au but.

Si l’aristocratie a pris à son grand profit et à son grand honneur une part active aux événemens décisifs qui, jusque vers la fin du XVIIe siècle, ont contribué à fonder la liberté britannique, il importerait, avant de tirer de son existence de sérieuses conséquences, de bien savoir ce qu’elle est et comment elle aide au maintien de l’édifice, après avoir aidé à l’élever. On dit beaucoup que l’Angleterre est aristocratique. Soit, mais il faut s’entendre sur ce mot. L’aristocratie anglaise est, à proprement parler, la noblesse, c’est-à-dire la pairie. Au lieu de certains privilèges humilians ou frivoles qui n’ont disparu chez nous qu’en 1789, elle a eu des droits et des pouvoirs politiques et elle les a gardés ; cette position supérieure longtemps maintenue a fait sa grande richesse. Quelques illustrations lui ont conservé son éclat. Il serait puéril de contester l’influence d’un corps ainsi constitué ; mais il ne faut pas l’exagérer. De 1688 à 1789, on trouverait peu de grandes circonstances où des partis décisifs pour la monarchie et la constitution aient été pris conformément au pur esprit de l’aristocratie par opposition à l’esprit du reste de la société. L’opinion de la bourgeoisie de Londres eût été seule consultée que le bill des droits, l’acte d’établissement de la maison de Hanovre, la guerre de la succession, la politique intérieure de Walpole, la guerre contre l’Espagne de 1739, la conduite tenue dans la guerre de sept ans, une bonne partie des fautes commises envers les colonies américaines, la guerre et la paix qui ont suivi leur insurrection, les réformes de Burke et peut-être la victoire de M. Pitt sur M. Fox en 1784 seraient arrivés tout de même.