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pénétré dans ses rangs, toujours scrupuleuse et toujours ardente dans l’accomplissement de ses devoirs. Lorsqu’aujourd’hui on entend prononcer à la défiance le mot de prétoriens, la fausseté du rapprochement étonne. Le caractère des prétoriens, ce n’est pas la docilité, c’est la sédition. Eh ! quand donc l’armée s’est-elle montrée rebelle aux ordres de la loi ? De ce que l’énergie du commandement est nécessaire au maintien des grandes armées, suit-il que les garanties légales soient en opposition avec les bases mêmes de leur discipline ? Grande erreur : notre propre expérience a prononcé. En quoi nos lois militaires ont-elles nui au bon ordre dans cette armée, qu’on ne vit point, le lendemain du 24 février même, faire un seul pas hors de l’ombre de son drapeau ? Qu’on cite une armée qui, mise à la même épreuve, ne se fût pas débandée en deux jours ! Jusqu’aujourd’hui des règles fixes ont statué sur le recrutement, sur l’avancement ; la subordination, la discipline en ont-elles jamais souffert ? Que dis-je ? la majeure partie des officiers ne doit pas même son premier grade au chef de l’état. Ils se sont eux-mêmes faits ce qu’ils sont en gagnant au concours leur rang de classement dans les écoles militaires. C’est là une garantie que l’Angleterre n’a pas encore osé nous emprunter. Or, si la prérogative du prince a paru y perdre, certes son autorité n’y a rien perdu.

Ce mot de prérogative, dont le sens est si variable, est plus difficile à définir en France qu’en tout autre pays. La royauté y est un mot du langage populaire ; elle y est une chose historique. Il arrive que si par la constitution elle est réglée et conséquemment définie suivant la raison et la politique, elle est, dans l’usage, comprise selon la langue et l’histoire. Dans le sens du vulgaire, un roi est un homme qui peut tout. Aux termes des lois constitutionnelles, c’est tout autre chose. De cette contradiction résultent, pour les princes, aux jours de prospérité, des excès de flatterie et des tentations d’empiétement, et contre eux, aux jours difficiles, des iniquités et des renversemens. C’est assurément là une des difficultés de l’établissement et surtout du maintien de la monarchie limitée. Le même esprit qui tend à faire les rois tout-puissans mène à les faire responsables, et la France n’est souvent révolutionnaire que pour avoir été absolutiste. On n’échappera à ces oscillations funestes que lorsque la royauté aura pris de plus en plus le caractère d’une magistrature légale, et que ses formes et ses dehors la rapprocheront de plus en plus des autres pouvoirs constitutionnels. C’est en France que tout cérémonial qui rappelle les anciennes cours offrirait le plus de danger. En élevant le prince à une hauteur factice, il lui rendrait les apparences de la toute-puissance, et avec elles le péril d’être pris pour l’auteur unique de tout ce qui déplaît,