Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/513

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attiré les voyageurs et mérité de fixer l’attention ; l’archipel indien, les vastes espaces de la Sibérie, l’Himalaya, le Pendjab, les plateaux du Dekkan, et, plus près de nous, ces contrées de la Palestine auxquelles se rattachent tant d’histoires et de traditions qui nous sont familières, ont eu aussi leurs explorateurs. Sait-on qu’il n’y a que peu d’années que la forme du lac Aral et de la Mer-Morte, ces deux nappes d’eau qui confinent presqu’à l’Europe, a été déterminée avec exactitude? En 1857 et 1858, le docteur Roth suivait encore, du lac de Tibériade au lac Asphaltite, la vallée du Jourdain, étudiant les phénomènes bizarres du sol de la Judée, et s’efforçant de rattacher à l’histoire de ses convulsions la catastrophe de Sodome et de Gomorrhe. Dans le même temps, bien loin de là, un naturaliste, M. Salomon Müller, étudiait les races humaines de la Nouvelle-Guinée. Ailleurs, MM. Speke et Burton partaient de Zanzibar pour pénétrer, dans l’intérieur de l’Afrique équatoriale, jusqu’à cette grande mer Ujiji ou Uniamesi, sorte de Caspienne africaine qui n’aurait pas moins de deux cents lieues de long, au dire des indigènes, d’après lesquels seuls elle nous était connue jusqu’ici[1]. La nouvelle expédition a eu pour résultat de démontrer qu’au lieu d’une seule mer il y en a trois. La première, que les indigènes appellent Nyassi, est la plus rapprochée de la côte, et elle était la seule qui depuis longtemps figurât sur nos cartes d’Afrique. La seconde est appelée Ukerevé, et c’est à la troisième qu’appartient en propre le nom d’Ujiji. Entre ces deux dernières se dresse, à ce qu’il paraît, une haute chaîne de montagnes qui ne permet pas de supposer qu’il existe entre elles des communications. L’étude de cette partie de l’Afrique offre d’autant plus d’intérêt que c’est là, selon toute présomption, et au milieu des lacs intérieurs que nous venons de nommer, que le Nil prend sa source. Il y a dix-sept cents ans, un géographe écrivait : « C’est par-delà les montagnes de la Lune, au fond d’une mer intérieure, qu’il faut chercher les sources du Nil. » Longtemps notre cartographie a accepté cette assertion sans contrôle; puis, quand s’est ouverte pour l’Afrique l’ère moderne des découvertes et des voyages, comme on ne trouvait ni la mer ni les montagnes là même où le savant grec les avait placées, on a crié à la fable et au mensonge. Le Nil, selon les uns, descendait des montagnes de l’Abyssinie; selon d’autres, il courait de l’ouest à l’est. Un montent même, doublant le cours de ce roi des fleuves, on en a fait la continuation du Niger. Quelques voyageurs cependant le remontaient toujours; d’autres, partis de la côte de Zanguebar, découvraient, au sud de l’équateur, des monts chargés de neige; enfin voici la mer intérieure qui se révèle, et bientôt il suffira de reculer vers le midi la latitude où le fleuve prend sa source pour trouver exacte l’assertion de Ptolémée. Sur bien d’autres points encore, la science moderne en est venue à constater la vérité de faits énoncés par les anciens, et qui avaient longtemps semblé fabuleux; elle nous enseigne à ne pas récuser légèrement les témoignages de Strabon, de Pline, de Ptolémée, et même de ce charmant conteur, Hérodote, que l’on a accusé, souvent à tort, d’avoir demandé à son imagination l’intérêt de ses récits.

Mais ce ne sont ni Burton, ni M. Salomon Müller, ni le docteur Roth qui

  1. Voyez la Revue du 1er août 1857.