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le choc et la confusion des intérêts qu’ils mettent en jeu. Ce sont ces incidens parasites et ces diversions qui font le plus souvent dévier les guerres de leur but, et leur donnent la plupart du temps des dénoûmens si différens des résultats qu’on en avait d’abord espérés. La guerre d’Italie, l’on a pu s’en apercevoir depuis un mois, ne pouvait échapper à la loi commune. Parallèlement aux progrès de la guerre, un plan de médiation s’élaborait à Berlin, et le travail d’enfantement de l’intervention diplomatique de la Prusse paraissait toucher au terme décisif. Nous n’avons jamais pensé que l’effort de la Prusse dût aller au-delà d’une intervention diplomatique. La Prusse n’aurait pas adressé à la France des injonctions, mais elle lui aurait posé des interrogations qui eussent pu être gênantes en ce sens qu’elles auraient peut-être eu l’air de nous imposer la ligne de conduite que nous nous étions tracée à nous-mêmes. En Italie, une autre série de faits commençait à se dérouler. Comme tout le monde l’avait prévu, la pierre d’achoppement de cette guerre devait être la question romaine. Après la lutte contre l’étranger et la question nationale de l’indépendance, la tendance la plus élevée et la plus légitime qui existât en Italie était sans contredit l’aspiration des Romagnols à se soustraire au gouvernement clérical ; mais ici la politique du gouvernement français se heurtait à une contradiction singulière. D’un côté, nous appelions tous les Italiens sans distinction à prendre part à la guerre de l’indépendance. Ce n’était ni aux Lombards, ni aux Toscans en particulier, c’était aux Italiens que s’adressait la proclamation de Milan, et elle leur disait : « Volez sous les drapeaux du roi Victor-Emmanuel, qui vous a déjà si noblement montré la voie de l’honneur… Animés du feu sacré de la patrie, ne soyez aujourd’hui que soldats ; demain, vous serez citoyens libres d’un grand pays. » Il n’était pas possible aux Romagnols, qui avaient devancé même cet appel au patriotisme militaire des Italiens en envoyant de nombreux volontaires à l’armée sarde, aux Romagnols, qui sont une des plus nobles et des plus énergiques populations de l’Italie, de résister à l’entraînement de la guerre nationale. D’un autre côté, l’empereur, dans sa proclamation du 3 mai au peuple français, avait déclaré que « nous n’allions pas en Italie ébranler le pouvoir du saint-père. » Or, le pape ayant proclamé sa neutralité, les Romagnols ne pouvaient, sans résister à l’autorité de leur souverain temporel, s’associer à la lutte de l’indépendance. De là ces mouvemens des grandes villes des légations et les lamentables événemens de Pérouse, les grandes villes des légations se dérobant à l’autorité pontificale, le pape revendiquant, même par les armes et par l’effusion du sang, les prérogatives de son pouvoir temporel et envoyant à la catholicité par son encyclique un long cri de détresse.

Cette contradiction fatale et les difficultés qu’elle provoquait avaient été prévues sans doute comme une inévitable conséquence de la guerre. Au moment où elles se produisent, elles durent néanmoins causer un grand embarras à l’empereur Napoléon. Nous ne doutons point que la réforme du gouvernement temporel du pape ne soit une de ses plus anciennes et plus constantes préoccupations : tout ce qui s’est passé depuis la célèbre lettre adressée à M. Edgar Ney prouve surabondamment que la réforme du gouvernement papal était peut-être plus encore que l’abaissement de