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où le burlesque moyen de succès dont il avait abusé lui serait retiré. Ce jour vint, et la vengeance de la Providence s’étendit sur lui comme pour prouver qu’elle se chargeait de châtier d’autres insolences que celles des Nabuchodonosor et des Antiochus. Un beau soir de printemps, un frisson le saisit. Il se coucha, et se releva deux mois après défiguré par la petite vérole. Défiguré n’est pas tout à fait le mot propre, et je désespère de trouver une expression convenable pour peindre les ravages particuliers que la maladie avait faits sur lui. Son visage cependant portait peu de traces des affreux stigmates de la petite vérole : on n’y distinguait point de crevasses, ni de coutures. Quelques marques légères attestaient seulement çà et là le passage de la terrible maladie ; mais ces marques avaient suffi pour altérer complètement sa physionomie et pour enlever tout caractère à sa piquante laideur. Le charme bouffon que nous avons essayé de décrire avait complètement disparu de son visage. Lorsqu’il put sortir et qu’il voulut tenter de recommencer sa vie passée, il s’aperçut de l’énorme et irrémédiable changement que la maladie avait opéré en lui. D’ordinaire un éclat de rire franc et cordial accueillait son arrivée, et ceux même qui le voyaient familièrement ne pouvaient retenir un sourire dès qu’ils l’abordaient. Maintenant tout était changé. Les amis qu’il rencontrait le regardaient avec étonnement, et, après l’avoir félicité de son retour à la santé, se détournaient avec indifférence. Il n’éveillait plus comme autrefois l’attention des inconnus, et il pouvait passer au milieu de la foule sans crainte d’être remarqué. Il avait perdu avec la maladie la puissance de sympathie comique qui l’avait soutenu jusqu’alors. Il sentit qu’il ne se relèverait jamais du coup qui le frappait, se regarda à bon droit comme perdu, et tomba dans un morne désespoir. Un jour que je me promenais avec un de mes amis à travers les rues de Paris, nous le rencontrâmes mélancoliquement assis sur le boulevard ; il n’osa point nous aborder ni même nous saluer, mais je n’oublierai jamais le regard triste et désolé qu’il me jeta. Je compris toute la portée de ce regard, qui, pour s’échapper de deux yeux jadis cyniques et insolens à outrance, n’en contenait pas moins toutes les tristesses qu’ont ressenties tant d’âmes nobles et grandes. Dans son muet langage, il disait, ce regard, tout ce que peut dire le regard d’un héros qui sent la gloire lui échapper, ou celui d’une jolie femme qui vient d’apercevoir les premières marques irrécusables de la vieillesse. Il disait distinctement : « Ils sont finis les jours de fête ! Adieu maintenant pour toujours aux joyeux éclats de rire et aux bruyans lazzis ! J’ai perdu ce qui me faisait, sinon aimer, au moins rechercher et supporter. Maintenant le papillon qui vous avait diverti par ses couleurs bizarres est mort, et il n’en reste plus qu’un ver méprisable à côté duquel vous passez en vous détournant. » Je