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des paroles d’admiration pour « le grand et courageux sacrifice que s’étaient imposé les Américains, » et Napoléon ne songea-t-il qu’à leur en faciliter l’accomplissement. En témoignage de son respect pour la loi d’embargo, il lit donc saisir et confisquer tous les navires américains qui abordaient en France. Ces bâtimens ne naviguaient, disait-il, qu’au mépris des règlemens de leur pays, et l’empereur était trop l’allié du gouvernement américain pour ne pas l’aider à exécuter ses décrets. Le cabinet de Saint-James fit au contraire profession d’être trop l’ami du commerce américain pour ne pas l’encourager à la révolte.

Les faveurs accordées aux navires qui réussissaient à se soustraire à l’action de l’embargo furent d’ailleurs le seul signe d’inquiétude que Jefferson put arracher à M. Canning. En vain le président lui fit-il promettre de rétablir la liberté des communications entre les deux pays, si l’Angleterre révoquait les ordres du conseil : M. Canning répondit avec hauteur que « son pays ne consentirait à rien qui pût passer, même à tort, pour une concession, tant qu’il pourrait s’élever un doute dans l’esprit du monde sur l’insuccès ou l’abandon non équivoque du plan de destruction inventé contre la Grande-Bretagne, » ajoutant avec une sanglante ironie que, « s’il avait été possible à sa majesté de faire un sacrifice pour amener la levée de l’embargo, sans se donner l’apparence d’en solliciter la révocation en tant que mesure d’hostilité contre son peuple, il aurait contribué avec joie à en faciliter l’abandon en tant que mesure de contrainte incommode pour le peuple américain. » Les États-Unis avaient eu en effet plus à souffrir que la Grande-Bretagne de l’état de blocus auquel ils s’étaient volontairement condamnés, et Jefferson lui-même n’avait pu se faire longtemps illusion sur l’efficacité de l’embargo comme moyen de coercition diplomatique. Dès le mois de janvier 1808, ce n’était plus à ses yeux qu’un moyen de gagner du temps. « En retenant à l’intérieur nos vaisseaux, nos chargemens et nos marins, il nous fait éviter la nécessité d’être entraînés par leur capture à une guerre immédiate... Jusqu’à ce que les belligérans retrouvent quelque sens moral, nous nous renfermerons chez nous; cela donne du temps : le temps peut produire la paix en Europe, et la paix en Europe suspendra toute cause de querelle jusqu’au jour où une nouvelle guerre éclatera. Ce jour-là, notre dette sera payée, notre revenu dégagé, notre force augmentée. » Deux mois plus tard, le répit que l’embargo avait pour seul mérite de donner au gouvernement américain ne paraissait même pas à Jefferson devoir être bien long, tant cet expédient devenait à charge à la nation! « Lorsque le congrès se réunira au mois de décembre, disait alors le président, il aura à examiner à quel moment la durée de l’em-