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levant tribut sur leurs citoyens comme avant l’émancipation de l’Amérique, un despote étranger s’arrogeant le droit de décider pour eux de la paix et de la guerre, tels étaient les résultats de la politique de Jefferson. Il avait cru qu’au milieu du monde en armes l’Amérique pourrait sans danger rester désarmée, que, pour faire respecter sa neutralité, elle n’avait qu’à faire grand bruit de son droit et de ses douanes, qu’à élever très haut ses prétentions, qu’à se montrer exigeante à Londres et ambitieuse à Paris. Il n’avait su ni s’accommoder à temps avec la Grande-Bretagne, ni se faire auprès de la France un mérite de ses mauvais rapports avec le cabinet anglais, et il se trouvait engagé à se débattre à la fois contre les deux tyrannies dont ses prédécesseurs avaient eu l’habileté de s’affranchir successivement.

Pendant tout l’été de 1807, le président était resté dans l’état d’esprit où l’avait laissé l’acte de violence dont la frégate la Chesapeake avait été l’objet, disposé à rompre avec l’Angleterre, quoique hésitant encore, très tenté de profiter de l’excellente occasion que lui donnait la Grande-Bretagne de rallier les esprits à son gouvernement par une guerre juste et populaire, quoique très séduit par le désir d’essayer enfin sa grande découverte politique, la justice internationale maintenue par la seule action des douanes. La nouvelle de la violation par la France du traité du 13 septembre 1800 vint mettre un terme aux incertitudes de Jefferson. Ce n’était pas au moment où la France égalait l’Angleterre en injustice qu’il pouvait convenablement se prononcer pour la première contre la seconde; il devait, au moins pour un temps, affecter un égal courroux envers les coupables, tout en se défendant de l’insigne folie qu’on appelait alors une guerre triangulaire, c’est-à-dire une guerre contre les deux agresseurs rivaux à la fois. Il se décida donc à faire tomber indistinctement le commerce des belligérans sous le coup du système pénal qu’il avait conçu en vue de l’Angleterre, et qui ne pouvait en effet atteindre sérieusement aucune autre puissance, puisque, maîtresse des mers, l’Angleterre pouvait seule alors commercer librement avec les États-Unis. Prenant occasion de la nouvelle interprétation du décret de Berlin et sous prétexte de mettre les bâtimens américains à l’abri des dangers auxquels les exposait la fureur des nations européennes, Jefferson proposa au congrès de rendre une loi d’embargo, défendant sous peine de saisie à tout navire, quel que fût son pavillon, de sortir des ports américains à destination d’un port étranger, mesure qui supprimait absolument le commerce extérieur, qui rendait criminelle toute communication avec la Grande-Bretagne, et qui cadrait par conséquent à merveille avec le système continental. Aussi M. de Champagny ne trouva-t-il que