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affaires du monde, le bon vouloir des États-Unis importait infiniment moins à l’Angleterre que la conservation de son personnel naval. Faire du règlement de cette question de la presse la condition sine qua non d’un traité avec la Grande-Bretagne, c’était rendre ce traité impossible.

Tel fut le vice radical des instructions données le 5 janvier 1804 à M. Monroë, ministre des États-Unis à Londres. Pendant que cet agent poursuivait une chimère, l’amirauté anglaise, affranchie de toute régie diplomatique et enhardie par la faiblesse de la marine américaine, reprenait arrogamment ses habitudes de tyrannie : elle ressuscitait la règle de 1756 dans toute sa rigueur, elle multipliait les blocus fictifs, elle faisait de plus en plus de la recherche simulée de ses déserteurs un moyen de recrutement. En moins de trois ans, les croiseurs britanniques firent, par leurs captures irrégulières, subir aux sociétés d’assurance maritime du seul port de Philadelphie une perte de plus de 5 millions, et enlevèrent à bord des navires marchands américains plus de trois mille matelots. Jefferson se trouva en 1806, vis-à-vis de l’Angleterre, dans une situation analogue à celle où s’était trouvé Washington en 1795, avec cette différence toutefois que l’exaspération des esprits à l’intérieur était moins grande, que le public poussait moins ardemment le pouvoir dans la voie des représailles, et que la bonne politique lui était beaucoup plus facile. Mais Jefferson et Madison étaient depuis fort longtemps sous l’empire d’une idée routinière et fausse qui devait les entraîner à provoquer la guerre sans la vouloir. Ils croyaient que le gouvernement des États-Unis tenait en sa main les destinées industrielles de l’Angleterre, et que sans tirer l’épée, par de simples règlemens de douane, il pouvait tarir les sources de richesse des maîtres de l’Océan, tenir leur puissance en échec et les forcer à démordre de leurs prétentions. Trompés par le souvenir des ligues redoutables qui, de 1767 à 1776, s’étaient formées dans leur patrie contre la consommation des marchandises anglaises et l’exportation des produits américains, ils se figuraient que les héroïques moyens de résistance pacifique auxquels les colonies avaient eu recours contre la métropole, avant d’arborer le drapeau de l’indépendance, étaient encore à l’usage des États-Unis devenus une nation. Ils oubliaient que, même à l’époque de la révolution, le commerce américain n’avait pas aisément consenti à cesser ses échanges avec l’Angleterre et à s’anéantir lui-même pour défendre les droits du pays. L’esprit d’abnégation et de résignation que l’enthousiasme pour la cause des libertés publiques, combiné avec des habitudes de fidélité envers la couronne, avait à peine suffi à inspirer aux négocians américains, le faible gouvernement des États-Unis ne pouvait pré-