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traité, qui donnait tort aux prétentions abusives du directoire, fut signé à Paris ; une négociation ayant pour but de régler l’indemnité due aux négocians lésés par les spoliations françaises fut entamée, et le 30 avril 1803, lors de la cession de la Louisiane aux États-Unis, le chiffre de cette indemnité fut fixé à 20 millions. La politique fédéraliste avait eu successivement raison des deux belligérans ; la politique républicaine allait bientôt être mise à l’épreuve.

Dès son avènement au pouvoir, Jefferson avait pris sur la question des droits des neutres une attitude très différente de celle de Washington. Il avait paru attacher beaucoup plus d’importance à ne pas transiger sur les principes qu’à défendre en fait et dans le présent les intérêts de la navigation américaine. Il s’était fait une théorie sur le droit des gens de l’avenir, théorie qui n’allait à rien moins qu’à priver les belligérans du droit de visite, et, tout en reconnaissant que le moment d’imposer au monde cette nouvelle doctrine n’était pas encore venu, il s’était prématurément décidé à ne pas renouveler les traités qui y portaient atteinte, aimant mieux ne protéger le pavillon américain par aucun acte diplomatique qu’accepter pour sa sûreté des garanties incomplètes. Le gouvernement des États-Unis laissa donc tomber sans les renouveler les dispositions maritimes du traité de Jay, qui expirèrent ainsi en 1803. Dès 1804, Jefferson avait appris par expérience combien il est dangereux et chimérique de supprimer le droit écrit dans les relations internationales, et il avait senti la nécessité de sacrifier bien des points de doctrine au besoin de replacer la Grande-Bretagne sous l’empire d’un traité ; mais, tout en rentrant dans une voie plus sensée, il n’avait pu dégager assez complètement son esprit de son erreur première pour ne pas conserver une prétention absolue qui rendait le succès de ses négociations impossible. De tous les droits que s’arrogeait la Grande-Bretagne, celui de rechercher et de saisir ses déserteurs à bord des navires marchands américains était à la fois le plus contestable, le plus vexatoire et le plus nécessaire au soutien de sa marine. Elle ne pouvait ni l’exercer sans empiéter sur la juridiction des États-Unis et sans porter atteinte par de fréquentes méprises à la liberté individuelle de leurs citoyens, ni l’abandonner sans courir le risque de perdre par la désertion une grande partie de ses équipages. Les États-Unis étaient donc fondés à réclamer contre cet abus, mais l’Angleterre avait un si grand intérêt à le maintenir, que le gouvernement américain ne pouvait raisonnablement s’attendre à ce qu’elle le supprimât, à moins d’y être contrainte par une force supérieure. Cette force supérieure, le gouvernement américain ne l’avait pas, il ne pouvait l’avoir de longtemps ; il ne faisait même rien pour l’acquérir, et, dans la situation où étaient alors les