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soins et les penchans divers des divers membres de la famille américaine; en dépit de l’élasticité tant vantée du lien fédéral, les créoles durent renoncer à leurs usages traditionnels. Avant de devenir citoyens des États-Unis, ils furent condamnés à passer sous le laminoir anglo-saxon, et à perdre ainsi toute trace de leur caractère originel. Sous le gouvernement du grand apôtre des libertés locales, ils devinrent les victimes de la passion pour l’uniformité. Lorsqu’ils prétendirent résister à l’introduction de la langue anglaise dans l’administration de la justice à la Nouvelle-Orléans, lorsqu’ils voulurent profiter de leur majorité dans les assemblées du nouveau territoire pour se donner une législation civile en harmonie avec leurs mœurs, leurs décrets furent violemment annulés, et Jefferson, mécontent de leur disposition à garder une physionomie propre au milieu de leurs futurs confédérés, écrivit ces caractéristiques et dures paroles : « Il nous faudra envoyer là, pour y changer la majorité, trente mille volontaires nés et recrutés chez nous. Cela augmentera assez la population pour nous permettre de transformer le territoire en état, en état américain, non en état français. Cela ne dorera point sans doute la pilule aux Français; mais apparemment, en faisant cette acquisition, nous avons eu en vue notre bien autant que le leur. »


III.

Rien ne contenait plus l’élan naturel de la race américaine. La défaite du parti fédéraliste et l’abandon de la Louisiane par le premier consul avaient fait tomber les dernières digues qui pussent opposer quelque résistance au débordement de ses passions et de ses forces. Elle était désormais livrée sans défense à toutes les tentations de son esprit envahissant et démocratique. Le gouvernement de l’Union ne semblait préoccupé que de devancer ses désirs, et de s’enlever à lui-même tout moyen de les combattre. Les pouvoirs locaux allaient s’amoindrissant comme le pouvoir central. En 1801, l’état de New-York modifiait sa constitution pour diminuer les prérogatives du gouverneur. En 1802, le Maryland amendait la sienne pour substituer au suffrage restreint, qui était encore de droit commun aux États-Unis, le suffrage universel. En 1803, le territoire de l’Ohio, admis au rang d’état et au privilège de se donner des lois, rejetait le système, alors généralement adopté en Amérique, des nominations à vie dans l’ordre judiciaire, pour le remplacer par celui des élections à terme. Dans tous les états où les ministres du culte avaient encore un traitement public et assuré qui les mettait à l’abri des caprices de la foule, en leur permettant de vivre sans dépendre des contributions volontaires de leurs paroissiens, des