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Un tel résultat est-il, comme l’histoire lue avec sévérité le ferait soupçonner, un de ces chefs-d’œuvre accidentels qui se rencontrent encore plus rarement dans l’art de la politique que dans les autres arts, et que l’humanité doit regarder comme autant de bonnes fortunes? La savante antiquité ne l’a jamais pensé. Elle a cru à la sagesse, à la vertu des constitutions. Depuis le commencement du moyen âge, cette croyance s’est affaiblie, je le sais, découragée par le spectacle des jeux de la force et du hasard, intimidée par cette triste disposition à mal penser des choses humaines qui a prévalu depuis la chute de l’ancien monde, et si longtemps retardé leur développement; mais les efforts, les travaux, les progrès qui, à dater de la renaissance, ont relevé l’esprit humain, l’étude plus raisonnée de la nature des sociétés et des gouvernemens ont peu à peu rétabli la raison dans ses droits et ramené la politique à être autre chose qu’un fait bon ou mauvais, comme il plaît à Dieu. On se reprend à croire qu’il plaît à Dieu que les hommes usent de la raison qu’il leur a donnée pour assurer et régler dans la mesure de leur puissance l’avenir de leur destinée. On n’oserait dire que l’on désespère d’établir par les institutions, entre le pouvoir et la société, ce concours, cette solidarité, cette identité d’intérêts et de vues qui produit et fait durer les grandes choses. Or où s’est-elle trouvée avec un peu de constance, si ce n’est chez les peuples qui ont pris à cœur leurs affaires et se sont intéressés à leur propre sort? Mais pour cela il faut les connaître, ces affaires, il faut y pouvoir quelque chose, à ce sort. Autant dire qu’il faut être libre. Le patriotisme croît en raison de la liberté.

Or, si l’on se rappelle quelles garanties nous avons réclamées pour la liberté des personnes, on comprendra que la jouissance d’un bien si doux doit en rendre chères les institutions gardiennes. Le citoyen qui voit avec orgueil combien sont respectés en sa personne des droits dont les étrangers ont à peine une idée apprend à estimer son sort, ses lois, son pays, son gouvernement. Ainsi les libertés individuelles, qui font la dignité de la vie civile, engendrent des sentimens vraiment politiques, et celui-là serait bien mal doué qui ne porterait ni attachement ni reconnaissance à l’état comme au sol auxquels il doit sa dignité civique. C’est pour obéir aux saintes lois de sa patrie que le soldat lacédémonien mourait avec joie. La certitude d’être jugé en citoyen romain n’était pas étrangère au vaillant dévouement du légionnaire, et l’inscription toute politique de ses enseignes lui rappelait ses institutions même au milieu des périls et des souffrances de la guerre. À ces sentimens naturels, la publicité moderne vient ajouter les notions qui les motivent et les éclairent. Par cette liberté de parler et d’écrire, le citoyen prend