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la résistance du monde extérieur rétrécissent la sphère de notre bonne volonté. Il importe qu’au moins dans le cercle de ses semblables, l’être actif puisse jouir de la plénitude de son activité et ne sente pas se briser ou s’épuiser sa volonté contre des obstacles factices, que sa raison ne juge ni légitimes ni nécessaires. Il importe qu’aux rigueurs de la nature la société n’ajoute pas les siennes. C’est pour triompher en commun du monde extérieur que les hommes ont été créés sociables, c’est pour agrandir l’empire de la raison par la volonté. Une forêt vierge et la vie sauvage sont le berceau de la raison encore garrottée dans les langes du besoin. À mesure que la terre s’aplanit et s’ouvre sous la main de l’homme, qu’elle se couvre des habitations qu’il a faites et que l’état social se perfectionne, une liberté plus grande est due à une raison plus développée. C’est donc une règle dérivée de la nature humaine elle-même que, dans le choix de ses travaux, de ses études, de sa profession, que dans l’exercice de sa pensée, dans ses opinions, sa conscience et son culte, l’homme n’éprouve d’autres contraintes que celles qui résultent inévitablement de sa condition sur la terre, et l’état de société, faisant partie de cette condition, peut, en échange de la liberté qu’il assure à l’individu, réclamer de lui quelque chose. C’est un prélèvement du même genre que l’impôt. Néanmoins le consentement universel, aussi bien que le cri de la conscience, atteste que la dignité de l’homme croît avec sa liberté, et que l’abandon ou la perte totale de celle-ci lui a toujours, comme au temps d’Homère, enlevé la moitié de sa vertu. Tout ce qui peut être assimilé à la servitude personnelle, tout ce qui l’en approche, tout ce qui diminue seulement la distance qui l’en sépare, produit une diminution proportionnelle dans sa valeur morale, et l’élément servile pourrait être mesuré dans sa quantité avec plus de vérité que les gouttes du sang de nègre qui, dans certains pays, sont la mesure de la dégradation des variétés de la race. Nous ne disons là que ce que tous les hommes qui sont ou se croient éclairés par leur position sociale proclament pour eux-mêmes. Il n’en est pas un qui ne pense qu’à lui du moins la liberté personnelle est due, et qu’il ne se développera tout entier qu’à ce prix. Si quelques associations ont été artificiellement constituées pour anéantir la volonté de leurs membres et leur faire d’une obéissance absolue le premier des devoirs, elles n’ont pu subsister sans ignominie qu’autant du moins que le joug avait été librement accepté et par un acte spontané de renoncement, ou plutôt elles n’ont imaginé ou prétendu se soustraire aux autorités du siècle que pour se soumettre directement à l’autorité divine, en sorte qu’une certaine indépendance se cachait encore dans leur vœu d’obéissance. Et pourtant toutes les vertus de telles institutions n’ont