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italienne ne serait plus qu’une question libérale, comme à Naples et à Rome, question toujours grave et difficile, mais qui existe ailleurs, dans les petits états d’Allemagne et même en France; ce ne serait plus une question européenne.

Avant que l’Autriche acquît par le traité d’Utrecht le Milanais et le royaume de Naples, elle convoitait déjà ces possessions. Le duc de Lorraine Charles V, dans son testament politique[1], conseillait à l’empereur Léopold de tâcher de déterminer le dernier roi d’Espagne de la maison d’Autriche, le triste et maladif Charles II, à disposer de ses états d’Italie en faveur de l’archiduc Charles; mais, craignant la résistance que les princes italiens ne manqueraient pas de faire à ce projet, il voulait que l’on fît « couler des Allemands dans le royaume de Naples, en Sicile et dans le Milanais, assez pour pouvoir y prendre pied et s’assurer de n’en pouvoir être chassé par les nationaires. » Il savait bien qu’il y aurait des révoltes contre la domination allemande; mais, et c’est là qu’excelle la prévoyance de ce grand fondateur de la politique autrichienne, « on prendra occasion de ces soulèvemens des nationaires italiens pour les châtier sévèrement et s’affermir plus fortement dans leurs états. » Visant à la possession de l’Italie tout entière, il conseillait à la maison d’Autriche « d’ériger en royaume cette portion de l’empire, de telle sorte que la branche soit divisée, sans être séparée. » Le duc de Lorraine signale l’avantage de cette combinaison. De Madrid à Vienne, les branches de la maison d’Autriche ne pouvaient pas s’entre-secourir. De Milan à Vienne, il y aura contiguïté, l’Adriatique, qui est déjà autrichienne au nord par Trieste, qui le sera au sud par le royaume de Naples, deviendra un lac autrichien. Venise, dépouillée peu à peu de ses états de terre ferme, « sera réduite à ses lagunes, et deviendra tout au plus une république comme Dantzick ou comme Genève, qui n’ont rien du tout hors de l’enceinte de leurs murailles. » Grâce à ces agrandissemens, la maison d’Autriche pourra « attaquer le Turc par mer, s’il remue à contre-temps par terre. » Est-ce tout en Italie selon le plan du fondateur de la politique autrichienne? Non : il faut « réduire le Piémont en province autrichienne et abandonner la Savoie aux Suisses. » Et le pape? Le pape! Ici vraiment je reste ébahi de la hardiesse laïque des dévots de ce temps-là, car Charles V était un grand dévot et fort sincère. Il faut, dit le testa-

  1. M. d’Haussonville, dans le troisième volume de son excellente Histoire de la Réunion de la Lorraine à la France, a prouvé l’authenticité de ce testament, et il a montré que ce document était devenu le programme de la politique autrichienne depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’à nos jours. Tout ce que conseillait le duc de Lorraine à l’empereur Léopold et à ses descendans, l’Autriche l’a accompli ou a tenté et tente encore de l’accomplir. Comme le petit-fils de Charles V devint le chef de la nouvelle maison d’Autriche en épousant Marie-Thérèse, il s’est trouvé que le testament du grand-père a été exécuté par les petits-fils.