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Le plus grand témoignage de cette vérité est la guerre de 1733, commencée avec la neutralité bienveillante de l’Angleterre, et finie dès 1735 par la médiation offerte, sinon acceptée, de l’Angleterre.

La démonstration que je veux faire devant être un récit plutôt qu’une argumentation, il faudra bien qu’aux divers momens de ce récit je montre la contrariété brutale que la guerre, en se prolongeant, a faite aux vœux et aux expédiens salutaires de la diplomatie. Les guerres, en commençant, sont en général pleines de bons instincts et d’idées justes : elles voient quelle est la difficulté qu’elles sont chargées de résoudre; elles ne la grossissent pas et ne l’exagèrent pas par la passion ou par l’ambition. La guerre enfin, à ce moment, a encore la paix en vue, c’est-à-dire le but qu’elle doit atteindre, et non-seulement elle voit le but et s’y achemine volontiers, elle voit aussi quel est le moyen d’y arriver; elle sait quels sont les principes que la paix doit consacrer, elle respecte ces principes, et n’y substitue pas des intérêts de gloire ou de conquête. Voilà la guerre dans son adolescence, si je puis ainsi parler, belle alors par son enthousiasme et par son courage, belle aussi par l’honnêteté de ses sentimens et la droiture de ses idées. A mesure que la guerre grandit, à mesure qu’elle prend plus d’âge et de force, elle devient moins sincère et moins naïve, elle perd de vue le but, c’est-à-dire la paix; elle oublie aussi les principes qu’elle était chargée de faire vaincre, elle devient ambitieuse, conquérante, usurpatrice. Je prends un exemple ancien, l’histoire de la guerre de la succession d’Espagne. Les puissances alliées contre la France, et surtout les puissances maritimes, c’est-à-dire l’Angleterre et la Hollande, avaient commencé cette guerre pour empêcher la réunion sur la même tête des deux couronnes de France et d’Espagne. C’était là le principe qu’elles avaient proclamé dès les premiers jours de la guerre, et c’est à ce principe qu’elles revinrent à la paix d’Utrecht, c’est-à-dire après douze années employées à verser à flots le sang humain. Pendant ces douze fatales années, les puissances alliées, entraînées par la jalousie et par l’ambition, oublièrent le but qu’elles s’étaient marqué. Il ne s’agissait plus d’empêcher la réunion de la France et de l’Espagne, mais d’humilier et d’abattre la France, de la démembrer, de lui ôter la Flandre, l’Alsace, la Franche-Comté, que sais-je? Le principe de la guerre avait changé pendant sa durée; l’esprit de conquête avait remplacé l’idée de l’équilibre européen. En 1701, il fallait, disait-on, s’opposer à la monarchie universelle qu’allait créer la réunion de la France et de l’Espagne; en 1711, on ne songeait pas que la réunion de l’Espagne et de l’empire sous Charles VI allait créer d’une autre façon la monarchie universelle. Comme c’était contre la France que cette monarchie universelle s’allait ériger, elle ne semblait plus dan-