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marques laissées de distance en distance témoignent de la baisse graduelle du niveau lacustre. Il en est de même sur les rivages de tous les autres grands lacs de l’Amérique du Nord, et la péninsule du Michigan tout entière dormait autrefois sous la vaste surface de la méditerranée américaine. Les savanes ou prairies de l’Illinois étaient aussi recouvertes par les eaux du lac Michigan, et bien qu’elles se trouvent en moyenne à 220 mètres de hauteur au-dessus de la mer, celles qui ne sont pas encore transformées en champs ressemblent d’une manière étonnante aux prairies tremblantes de la Basse-Louisiane : on dirait un delta qu’une force souterraine aurait tout d’un coup soulevé. Ces prairies tremblantes sont de vastes étendues uniformes et paisibles comme la surface d’un lac ; les herbes fleuries y ondulent et frémissent au vent comme des flots ; les massifs d’arbres y sont semés comme des îles. De distance en distance, les îles se groupent en archipels, et les bras de prairies qui les entourent se bifurquent et se réunissent comme les bras d’une mer herbeuse. Une seule prairie, située au centre même de l’état de l’Illinois, est assez vaste pour qu’on ne voie pas son horizon frangé d’une de ces vertes îles d’arbres[1]. Partout aussi des blocs erratiques de granit, qui ne peuvent avoir été arrachés qu’aux collines de la Nouvelle-Bretagne, jonchent le sol et témoignent de l’ancienne existence d’une mer intérieure dont les glaces transportaient au sud les blocs de pierre arrachés aux rivages du nord. En creusant dans le sol, on trouve aussi des restes plus récens que ceux de l’époque diluvienne, et près de Kankakee, à plus de 50 kilomètres du rivage actuel du lac Michigan, on a trouvé le mât d’une barque enterré à 10 mètres de profondeur.

D’où vient cette baisse remarquable du niveau des lacs, baisse qui indique évidemment la diminution des eaux dans le grand bassin lacustre de l’Amérique du Nord, puisque les lignes d’érosion peuvent se suivre à l’œil sur tout le contour des lacs à une grande hauteur au-dessus de la surface actuelle ? Évidemment le soulèvement graduel du sol dont tout le bassin mississipien porte des traces a dû être l’un des principaux agens de l’écoulement des lacs. En effet, la surface de l’eau se haussant en même temps que tout le bassin au-dessus du niveau de l’Atlantique, de nouvelles issues se seront ouvertes pour le trop-plein des lacs, et leurs flots, servis par une plus forte pente, seront descendus vers l’Océan avec plus d’abondance et de rapidité. Cependant, en supposant même que le bassin central de l’Amérique du Nord n’ait point été soumis à un soulèvement graduel, le niveau des lacs a du continuellement bais-

  1. On a pu voir au Salon de cette année un beau paysage peint par un artiste de New-York, et représentant un Coucher de soleil dans une prairie de l’Illinois.