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a recours pour mesurer les oscillations séculaires des continens. Ainsi la régularité des érosions faites par le Mississipi à travers la chaîne de rochers, et surtout l’absence, en amont de Grand-Tower, d’un grand bassin circulaire qui ait pu servir de réservoir aux eaux réunies du Missouri et du Mississipi, font supposer que le percement des rochers est dû au soulèvement du sol.

C’est à Commerce, village imperceptible justifiant bien peu son nom, que le Mississipi passe pour la dernière fois sur un lit de rochers. En aval, la plaine, un moment interrompue par les étranglemens d’Herculanum et de Grand-Tower, y recommence avec de bien plus vastes proportions que dans le Haut-Mississipi, et déroule jusqu’à la mer, sur une longueur de 1,800 kilomètres, l’horizon triste et uniforme de ses grands bois.


III.

L’embouchure de l’Ohio inaugure dignement cette grande plaine d’alluvions. Là, le voyageur pourrait se croire transporté dans la mer au milieu d’un archipel. De quelque côté qu’il dirige son regard, il voit de vastes étendues d’eau allant se perdre vers l’horizon : au nord-ouest un bras du Mississipi, au nord un bras non moins large, à l’est le puissant Ohio, au sud le vaste canal où viennent se mêler les eaux de tous ces confluons. Les pointes et les îles vertes apparaissent dans le lointain comme les rives indécises d’un lac ou plutôt comme des forêts flottantes. Sur l’une de ces pointes basses, et presque entièrement caché par une rangée de bateaux à vapeur, se trouve le village du Caire. Malgré sa haute importance commerciale, c’est un des points les plus hideux et les plus malsains du monde entier, et bien longtemps avant d’avoir mis le pied sur la vase putride du rivage, on est comme suffoqué par d’horribles miasmes. La péninsule du Caire est rattachée au territoire de l’Illinois par une étroite langue de terre vaseuse, qui, si on ne l’avait complètement entourée d’une digue de 6 à 7 mètres de hauteur, serait périodiquement noyée par les inondations. Dans cette espèce de fosse ménagée entre les talus de la digue circulaire, les eaux en décomposition, les débris végétaux et les charognes éparses polluent tellement l’atmosphère, que la respiration devient une souffrance. Aussi, malgré les caressantes invitations des capitalistes, malgré les plans magnifiques des ingénieurs, les travailleurs s’obstinent à ne pas affluer vers le Caire : la population fixe se compose d’une vingtaine d’hôteliers occupés à rançonner les voyageurs que les convois et les bateaux y débarquent par centaines. Le Caire est une auberge qu’on traverse en courant.

L’Ohio est de toutes les rivières des États-Unis celle qui ressemble