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les yeux sur les torts immenses que peut lui causer la continuation de l’esclavage, et déjà elle penche vers l’abolitionisme. Le temps n’est plus où des habitans de Saint-Louis, faisant irruption sur le territoire de l’Illinois, allaient saccager les presses d’un journal abolitioniste d’Alton et brûler la cervelle à l’éditeur. Déjà plusieurs journaux missouriens ne craignent pas de pousser le cri de guerre en faveur du travail libre, et les deux partis opposés se balancent dans les élections de la capitale.

De Saint-Louis aux plantations de la Louisiane, les rives du fleuve sont en grande partie inhabitées, et les Américains, à part quelques points privilégiés, n’y apparaissent guère que comme des étrangers, campés depuis quelques années à peine. Aussitôt après avoir vu disparaître la cité et s’évanouir derrière une pointe la fumée rougeâtre des fabriques, on pourrait se croire dans les solitudes immaculées de la nature sauvage. Les forêts bordent les deux rives du fleuve de leur masse impénétrable, et c’est de lieue en lieue seulement qu’on aperçoit une cabane de branches habitée par quelque bûcheron ; sous l’ombrage se cachent des multitudes de dindons qui s’envolent avec un bruit d’ailes strident dès que le pas d’un homme ou le sifflet des bateaux à vapeur vient troubler le silence de leur retraite. Là cependant où le fleuve, par un vaste détour, vient effleurer une des collines qui bordent sa vallée d’alluvions, on peut voir un gracieux village éparpiller ses maisonnettes rouges sur les pentes et les convois de chemin de fer tordre sur la rive la ligne onduleuse de leurs wagons. Alors on pourrait se croire transporté pour quelques instans sur l’un de ces fleuves d’Europe auxquels les fraîches habitations semées sur les bords donnent un aspect si enchanteur; mais encore quelques tours de roue du navire, une pointe de sable et de buissons cache le village et la clairière qui l’environne; toute trace de civilisation disparaît comme par magie, et le bateau à vapeur semble traverser un lac perdu dans les forêts vierges.

Près du village d’Herculanum, le courant du Mississipi se heurte aux collines de la rive droite, et pendant une certaine distance il en a tellement rongé la base, que ces collines offrent du côté du fleuve des falaises perpendiculaires de 50 ou 60 mètres de hauteur. Le génie inventif des Américains a chevillé sur le sommet de ces falaises quelques petites guérites de bois qui servent à la fabrication du plomb de chasse; mais les phénomènes géologiques que l’on peut observer sur ces rochers les rendent bien plus remarquables que les fonderies improvisées par les mineurs de l’ouest. A une certaine hauteur, la falaise a tout à fait l’apparence d’un ancien monument d’architecture, et l’on y voit des arcades superposées dont les pleins cintres sont profondément creusés dans le roc, et dont les colonnes s’arrondissent en relief sur la paroi d’une manière parfaitement