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père la jonction du Mississipi et de son gigantesque rival le Missouri. Le confluent offre un magnifique spectacle pendant la saison des crues, alors que les deux courans, larges de plus d’un kilomètre chacun, viennent avec rapidité se heurter l’un contre l’autre, et tordre leurs eaux en vastes tourbillons. La ligne ondulée qui sépare l’eau jaune du Missouri de l’eau bleue du Mississipi change incessamment ses courbes et ses spirales selon la direction et la force des remous. Là se rencontrent les troncs épars ou les radeaux naturels qui descendent les deux fleuves en longues processions ; ils s’entremêlent et forment d’immenses rondes sur la ligne changeante des remous, jusqu’à ce qu’une vague les détache et les emporte dans le courant commun. À la ligne même du confluent, l’eau du Missouri, pesante d’alluvions, s’introduit comme un levier sous l’eau plus limpide du Mississipi et remonte en gros bouillons que l’on dirait solides, et qui ont l’aspect du marbre. Longtemps les deux fleuves roulent côte à côte, sans se mélanger d’une manière complète, et, bien loin en aval du confluent, on voit encore l’eau relativement pure du Mississipi ramper le long de la rive gauche. À la fin, l’union s’opère, et le courant, tout chargé d’argile en suspension, roule vers la mer comme une énorme masse de boue liquide. C’en est fait de la transparence de l’eau : les jeux de lumière, les reflets cristallins, cessent de prêter leur charme aux flots du Mississipi. Aussi les Indiens, effrayés sans doute des abîmes cachés sous la surface du fleuve, n’ont jamais placé dans son sein de divinités bienfaisantes. Dans leur mythologie barbare, ils en ont fait un royaume infernal, où siégeaient de terribles manitous, environnés de serpens et de monstres plus affreux encore.

Chacun des grands affluens du Mississipi a sa physionomie propre qu’on essaiera de décrire. Le Missouri surtout est digne de l’attention du voyageur et du savant ; bien peu d’explorateurs pourtant ont jusqu’à ce jour visité les sources de ce puissant fleuve. La principale est située à moins de 2 kilomètres de l’origine du fleuve Colombie, et de cette source jusqu’à l’embouchure du Mississipi on compte approximativement 7,000 kilomètres de distance. Si cette longueur était développée en ligne droite sur un méridien terrestre, elle s’étendrait à travers 63 degrés de latitude depuis l’équateur jusqu’au milieu du Groenland ; mais les détours du Missouri sont tellement nombreux qu’il ne traverse en réalité que 18 degrés de latitude. Il est très probable que le Missouri-Mississipi est le plus long fleuve de la terre, qu’il dépasse même en longueur le Nil, dont les sources semblent reculer à mesure qu’on en remonte le cours. Le Missouri proprement dit est formé par la réunion de trois torrens, le Madison, le Jefferson et le Gallatin. Dans sa partie supérieure, il traverse un terrain volcanique, fracturé par des tremblemens de terre ; sur ses