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une voie où ne se fondent guère les réputations durables. Les personnages de l’auteur dégénèrent souvent en caricatures et ses bons mots en trivialités. Le style lui-même s’émousse et se corrompt à satisfaire des goûts vulgaires et faciles. L’esprit public a-t-il donc aussi réellement qu’on le croit horreur de toute fatigue, et ne demande-t-il qu’à être diverti ? Les écrivains n’ont-ils plus qu’à exploiter cette fausse nonchalance ? Heureusement les succès de M. About n’ont pas que cette seule cause, et ils sont dus surtout à l’habileté de la mise en scène et à l’agrément particulier du style. Si l’invention, si le sentiment venaient se joindre à ces qualités, si cette forme moqueuse et cassante admettait plus de nuances, M. About sortirait de la sphère étroite où il semble vouloir se renfermer. Jusqu’à présent, malgré la vivacité de son esprit, le public s’est habitué à le considérer comme un écrivain moral, qu’on peut introduire sans trop de difficultés dans le sein des familles. Ceci nous explique comment ses livres plaisent à beaucoup d’esprits prudens, désireux néanmoins d’une honnête distraction. Est-ce donc à ce genre de popularité que doivent définitivement s’adresser les goûts et l’éducation littéraire de l’auteur ?

À côté de certains esprits heureusement doués qui limitent trop leur horizon, s’en présentent d’autres qui pèchent plutôt par exubérance juvénile. Le roman de M. Hector Malot, les Victimes d’Amour[1], est le roman d’un jeune homme riche d’illusions et de prétentions naïves. Je parle ici de l’écrivain autant que du héros, car c’est la même personnalité abondante, passionnée, indiscrète à l’endroit de ses sentimens et de ses expressions. L’auteur a traité son œuvre en enfant gâtée ; il ne lui a refusé aucune situation, il en a développé tous les détails, analysé tous les élémens. Chacune des qualités de l’auteur, chacun de ses défauts, chacun des intérêts du livre est présenté, commenté, retourné sous toutes les faces. Ces longueurs sont d’autant plus sensibles qu’elles sont appliquées à un drame bien souvent raconté déjà, et que l’invention manque souverainement à toutes ces aventures ; mais elles se recommandent d’une précieuse qualité, qui est la jeunesse et la vie. C’est toujours la vieille histoire de l’artiste amoureux de la grande dame et trompé par elle, de l’égoïsme irrité, de l’imagination éprise à froid et dupe d’elle-même. Cependant, si le fond du livre est banal, si l’inexpérience de l’écrivain est visible, il y a de l’habileté dans la bonne foi même avec laquelle le drame est présenté ; l’imitation, sans pouvoir se déguiser, y est sauvée quelquefois par d’originales observations. Quand M. Malot saura se borner, quand il saura par conséquent écrire, son style n’aura point de peine à acquérir une physionomie propre : il sera, ce qu’il se montre dans certaines pages, élégant et agréable. Les échappées audacieuses de l’auteur, qui impatientent là où elles sont un manque de goût, plaisent en d’autres endroits où elles sont le signe d’une force qui n’a besoin que de direction. Espérons que M. Malot saura se surveiller lui-même et se défier d’une incontestable facilité : c’est en condensant ses phrases qu’on arrive le plus souvent à en faire des idées ; c’est en se montrant sévère pour ses personnages, et non en les adorant, qu’on parvient à en composer des caractères.

  1. 1 vol. grand in-18, Michel Lévy.