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Beaucoup de gens nous étonnent, dont la conduite bizarre nous serait expliquée par l’éducation qu’à reçue leur jeunesse. M. Francis Wey analyse cette influence sur deux esprits destinés plus tard à se comprendre et à se réunir par leur contraste même. Cette étude est faite, nous dit-on, d’après la pure réalité, et l’auteur en prend acte pour s’excuser de n’avoir pas soumis son œuvre à certaines règles de composition ; il semble croire que les esprits méthodiques seuls s’obstinent à tout asservir à ces règles, même la vie humaine. Cette erreur d’observation égare par contre-coup l’écrivain : attendra-t-il pour donner de l’unité à son œuvre qu’il se soit aperçu de l’enchaînement fatal qui relie à une destinée précise tous les accidens de la vie, même ceux qui paraissent uniquement dus au hasard ?

Les Récits de la Vie réelle[1], de Mme Claude Vignon, ne justifient qu’à moitié leur titre. Il y a dans ces nouvelles une recherche évidente de la réalité, mais cette recherche est trahie par l’exécution. Ce n’est pas que l’auteur glisse sur la pente des trivialités grossières ; il est au contraire entraîné vers des combinaisons qui, plus que les accidens de la vie commune, paraissent propres à flatter une imagination dramatique. De là dans ces récits deux parties bien distinctes : l’une où l’auteur étudie sincèrement la vie réelle, l’autre où il cherche à étonner plutôt qu’à interpréter. Celle-ci, bien que paraissant plus naturelle et plus facile au tempérament de l’écrivain, est la moins réussie. Les efforts de l’artiste qui assemble et qui compose les élémens fournis par l’observation se font plus heureusement sentir dans Anna Bontemps, simple histoire d’une âme dupée par elle-même, dans la Surface d’un Drame, et surtout dans Adrien Malaret, dont le seul défaut est de n’être point assez développé. Adrien Malaret est un inventeur sérieux, mais jeune et pauvre. Après quelques essais dignes d’attention, qui n’ont pu cependant réussir faute d’une aide suffisante, après avoir subi les dédains d’une protection vaniteuse qui n’a point su attendre, ce jeune homme est obligé de s’enfouir au fond d’un village, auprès d’une parente dont l’affection égoïste et jalouse, particulière aux vieilles gens, aiguillonne tristement une existence monotone et oisive qui le consume peu à peu. Cette description d’un esprit condamné à ne plus agir et à s’atrophier est la partie la plus intéressante du roman, et aussi la mieux faite. Enfin l’amour, qu’Adrien n’avait jamais connu, vient arracher à la torpeur et à la mort ce penseur solitaire, et rien n’est plus frais ni plus gracieux que ce réveil subit de l’intelligence dû à une telle cause. Malheureusement cette fin n’est pas traitée avec la fermeté nécessaire qu’on pouvait attendre des premières pages. Avec une préoccupation plus sévère de la forme, l’auteur trouvera uniquement dans de semblables études un succès que les récits purement romanesques qui terminent son livre ne contribueraient que faiblement à lui assurer.

S’y prendre de la plus adroite façon pour amuser la foule, c’est à quoi visent trop modestement quelques esprits auxquels on pouvait supposer une ambition de meilleur aloi. Le dernier roman de M. Edmond About, Trente-et-Quarante[2], indique une fâcheuse persistance à chercher le succès dans

  1. 1 vol. in-12, collection Hetzel.
  2. 1 vol. in-12, L. Hachette.