Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/245

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mettait à mes caresses passivement, avec une aisance émoussée, lasse et fade, avec une sorte d’inappétence alanguie, comme font les gens désœuvrés à ces obligations journalières que commande la nature… Elle s’abandonnait à mes bras aussi tranquillement quelle eût fait à ceux d’un fauteuil. » Un tel caractère pouvait néanmoins être intéressant, quelque odieux qu’il fût, mais la forme lui fait défaut. Quand un personnage repousse, c’est à l’écrivain de ramener le lecteur. Cette espèce de levrette merveilleuse, « à laquelle vous m’avez accouplé, » dit plus tard Daniel à sa belle-mère, a toute l’âme d’une fille. Enfin il surprend un jour cette créature avec son amant. Il l’abandonne, quatre fois trompé par elle.

On devine ce que, grâce aux habitudes d’esprit de Daniel, cette catastrophe engendre chez lui de tristesse et de découragement. C’est ici en même temps que le procédé monotone de M. Feydeau dévoile surtout ce qu’il a d’impuissant et d’incomplet. Qu’on écoute l’illustre poète de la Confession d’un Enfant du siècle aux prises avec une situation à peu près identique : on verra de quelle manière à la fois précise et élevée doit s’exprimer la véritable passion, n’oubliât-elle rien de ses plus misérables ardeurs ; quelle éloquence peuvent atteindre même les regrets sensuels, fussent-ils causés, là comme ici, par d’indignes objets ! M. Feydeau ignore ce grand art d’imposer franchement au langage les plus cruelles vérités : il se réfugie dans les termes équivoques, dans les inversions ambitieuses, dans les tirades brusquement arrêtées ; en un mot il vise uniquement à l’effet matériel. — Au bout de deux années d’une solitude oisive, nous retrouvons Daniel à Trouville, sur les bords de la mer. Il faut mentionner ici quelques descriptions heureuses, quelques tableaux assez éclatans de couleur et d’harmonie, puis nous retombons pour n’en plus sortir dans le méchant style et le faux romanesque. Au bord de la mer, éclairée par les rayons du soleil couchant, une jeune fille apparaît à Daniel. « Sa robe, flottant légèrement derrière elle, moulait en avant ses formes charmantes et me les révélait toutes… » C’est le « quelque chose d’innomé et d’inconnu, » l’idéal si longtemps rêvé ; mais quelle peinture en fait l’auteur ! Aux crudités plastiques qui ternissent constamment une figure destinée à rester chaste et sympathique, M. Feydeau ne sait qu’ajouter un insupportable mysticisme, dont le ridicule ne prévient pas toujours le danger.

Si la fable ne brille point par l’invention, les détails ont encore moins de nouveauté. Il suffit à M. Feydeau de se reproduire lui-même, ne connaissant pas sans doute de meilleur modèle. L’auteur paraît avoir un faible pour cette situation équivoque qui fait assister secrètement ses héros à des spectacles dangereux pour leurs sens. Cette fois c’est à travers la fente d’une cloison que Daniel aperçoit la jeune fille, mal enveloppée d’un peignoir et agenouillée « sur une sorte de chauffeuse basse à dossier arrondi. » L’obscurité qui se fait bientôt l’arrache à cette contemplation ; mais cette obscurité même est loin d’être muette : « Je demeurai dans les ténèbres, écoutant le lit gémir et ployer sous le doux fardeau qu’il recevait. » Qu’ajouter à ceci ? Daniel aime Louise, et se sent le cœur soulevé par une exultation qui n’a pas d’égale. À son tour, Louise aime Daniel. J’omets les longs détails, les répétitions sans fin, les interminables conversations que rompent seules les des-