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de nouveau en avant par la Russie et la France. Lord Malmesbury s’impatiente de voir la négociation traversée ainsi par des difficultés que l’on paraissait vouloir écarter d’un commun accord : il menace de s’en retirer ; mais il fait une dernière tentative de conciliation en combinant le désarmement général avec l’admission des états italiens au congrès, conformément aux précédons de Troppau et de Laybach. La Sardaigne, pressée par la France et l’Angleterre, accepte à contre-cœur cette transaction. C’est en ce moment que la maladroite Autriche, qui n’avait pas connaissance encore de la nouvelle combinaison et de l’acceptation du Piémont, envoie à M. de Cavour son fatal ultimatum, et que la guerre éclate.

Il y aurait dans cette histoire diplomatique de curieux incidens à noter au passage, mais il faudrait entrer dans des développemens trop considérables pour choisir dans cette masse de documens les traits caractéristiques d’une négociation minutieuse et souvent confuse. Le Piémont, ainsi que nous l’avons dit, y a la supériorité de la franchise. On ne peut manquer de signaler, à ce point de vue, le remarquable mémorandum écrit le 1er mars par M. de Cavour, et où l’habile ministre du roi Victor-Emmanuel expose avec une netteté courageuse et une intrépide logique ses vues sur les réformes qu’appelle la situation de l’Italie. C’est lord Malmesbury qui par ses interrogations fournit à M. de Cavour l’occasion d’écrire cet exposé, auquel le ministre sarde se réfère avec une légitime fierté dans la circulaire non moins saisissante qu’il vient d’adresser à ses agens diplomatiques sur le caractère politique de la guerre.

Il y aurait de l’injustice à méconnaître également l’excellente attitude du comte Buol dans les commencemens de la négociation. Il était impossible de plaider avec plus de finesse, d’aisance, de coquetterie, de présence d’esprit et de dignité, la thèse de la légalité littérale et des traités. On voit que l’esprit de M. de Buol est plus flexible que son principe, et ne répugnerait point aux tempéramens pratiques ; mais l’on sent à la fin que la haute direction des affaires lui échappe, et à mesure que les résolutions extrêmes de l’Autriche précipitent le dénoûment violent de la crise, il est forcé de confesser son impuissance et peut-être sa désapprobation implicite, en avouant que l’initiative des mesures prises appartient à l’empereur ou à l’état-major impérial. Les allures de la Russie se ressentent du caractère du prince Gortchakof : sa malveillance contre l’Autriche ne sait pas se contenir, et l’on devine le sourire narquois avec lequel le représentant de la Russie aux conférences de Vienne voit l’orage s’amonceler sur la tête des Autrichiens. La France n’a qu’à se louer sans doute des procédés du cabinet de Pétersbourg, mais le prince Gortchakof laisse percer dans ses actes et dans ses paroles plus de malice vindicative que de conviction sérieuse. Il a trop l’air de prendre plaisir à voir un grand état placé seul à son tour après la Russie sous le poids irrésistible de la puissance française. Le zèle sincère de lord Derby et de lord Malmesbury contraste noblement avec l’espièglerie russe. Les ministres anglais ont fait de sérieux efforts pour le maintien de la paix ; du reste, l’on doit les croire également convaincus dans leur profession de neutralité. Ils avaient signifié dès l’origine à l’Autriche qu’en aucun cas elle ne devait compter en Italie sur l’appui armé de l’Angleterre,