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mander le rappel de l’union ? En France, les Allemands de l’Alsace et de la Lorraine, les Italiens de la Corse, font-ils entendre un seul vœu de séparation ? Le principe des distributions territoriales tracées par les traités et le principe des nationalités ne sont donc point aussi irréconciliables que le soutiennent respectivement leurs partisans extrêmes. Il y a entre eux une transaction toujours possible, et ce sont les lumières, l’équité, l’initiative libérale et progressive des bons gouvernemens qui la fournissent.

Le gouvernement autrichien, se fondant sur l’étroite légalité littérale des traités, était donc condamné d’avance, dans l’application absolue qu’il en voulait faire à l’Italie, par le bon sens pratique autant que par l’équité. La cour de Vienne eût été bien plus forte, si, au lieu de se faire le type et l’organe des théories abstraites de l’absolutisme, elle eût compris que la liberté seule pouvait lui fournir le lien dont elle a besoin pour unir dans un même état les diverses races de l’empire. Des esprits éclairés, de vrais hommes d’état, des serviteurs dévoués de la maison d’Autriche, avaient senti bien avant la crise actuelle que là était pour l’empire la voie de la prospérité, de la puissance et du salut. La Revue a publié, il n’y a guère plus d’une année, une étude remarquable où un gentilhomme autrichien démontrait non-seulement la nécessité d’une réforme libérale, mais l’aptitude que les diverses provinces de l’empire ont déjà pour les institutions représentatives. La guerre actuelle donne un intérêt particulier aux vues développées dans l’écrit auquel nous faisons allusion. Les désastres de la guerre apportent quelquefois aux gouvernemens vivaces des leçons qu’il leur suffit de comprendre pour réparer promptement des malheurs passagers. Quelle puissance nouvelle et quel prestige n’acquerrait point l’Autriche, si, renonçant au rôle impopulaire qu’elle joue dans une lutte désespérée, elle se retrempait virilement dans la liberté ! Des institutions représentatives et franchement libérales ne donneraient pas seulement à l’Autriche une vaste influence en Allemagne et les sympathies éclairées de l’Europe occidentale : elles lui assureraient, vis-à-vis de sa sourde et implacable ennemie orientale, la Russie, un ascendant moral qui lui sera bien nécessaire le jour où, se résignant à des sacrifices indispensables en Italie, elle devra chercher en Orient de légitimes compensations.

L’on voit aujourd’hui de quel secours la liberté a été pour le Piémont dans la lutte hardie et heureuse qu’il a entreprise en Italie contre l’Autriche. C’est la liberté, nous espérons que les Italiens ne l’oublieront jamais, qui a donné au Piémont le droit et la force de revendiquer l’indépendance de l’Italie. Placé entre l’absolutisme autrichien, protégeant et perpétuant le despotisme des petits princes italiens, et les souffrances, ou si l’on veut les aspirations de populations qui, fières d’un passé glorieux et de l’initiative qu’elles ont eue si souvent dans la marche de la civilisation européenne, voulaient respirer enfin, se mouvoir, vivre de la vie du xixe siècle, le mouvement libéral de la Sardaigne devait aboutir à l’une de ces deux extrémités : ou la lutte déclarée du Piémont contre l’Autriche, obstacle permanent à l’émancipation régulière et progressive de l’Italie, ou une explosion révolutionnaire dans la péninsule, éclatant en dehors de l’influence du Piémont, mais sans lui permettre de demeurer étranger aux conséquences, l’entrai-