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aussi bien que leurs adversaires se couvrir pendant quelque temps dans la lutte de l’illusion consciencieuse de l’honneur à défendre et du devoir à remplir. Il n’est pas inutile peut-être de s’élever à ces considérations, qui prescrivent l’impartialité, sinon l’indulgence, avant d’examiner cette controverse italienne à laquelle nous sommes redevables de la guerre.

C’est l’Autriche, cela va sans dire, qui dans ce duel a représenté le droit écrit, et c’est la Sardaigne qui, au nom de l’Italie, y a représenté l’équité. L’Autriche ne voyait dans ce débat que les traités ; la Sardaigne faisait éclater à travers l’étroite chaîne des traités le droit naturel d’une nation à vivre de sa propre vie. L’on n’attend pas de nous assurément que nous fassions ressortir l’importance des deux thèses. Le respect des traités est la seule garantie des relations internationales, de même que l’observation des contrats est la base des rapports sociaux. L’erreur de l’Autriche a été de ne pas vouloir comprendre que si les traités établissent les droits de propriété des souverains vis-à-vis des autres états, les clauses de ces contrats ne suffisent point à valider contre le droit des peuples les mauvais gouvernemens des souverains. Les traités obligent les étrangers à respecter les possessions territoriales qu’ils consacrent, ils n’obligent pas les populations qui couvrent ces territoires à subir une mauvaise administration. Pour la diplomatie autrichienne, l’on eût dit que l’Italie ne se composait que de cinq personnes, des princes qui régnaient à Naples, à Rome, à Florence, à Modène et à Parme. La prétention est si exorbitante qu’elle touche à la fois à l’odieux et au ridicule. C’était une autre prétention du formalisme autrichien de présenter comme opposé au principe des traités celui des nationalités : il avait beau jeu ensuite à montrer dans l’état actuel de l’Europe l’incompatibilité de ces deux principes, et à croire qu’il avait ainsi mis au-dessus de toute discussion ses argumens absolus en faveur du droit écrit. Il n’est pas nécessaire, il s’en faut, d’invoquer le principe des nationalités pour mettre un frein à l’absolutisme fondé sur la légalité littérale. Sans doute l’Europe actuelle est constituée d’après des considérations qui peuvent être quelquefois supérieures et même contraires aux vœux des nationalités. Obligée de garantir contre des tentatives réitérées de monarchie universelle l’indépendance et la liberté de chacune des communautés politiques qui la composent, elle s’est divisée conformément à un équilibre approximatif des forces, par conséquent d’après les données de la géographie militaire, et non suivant la distribution absolue des races et des langues. Il s’ensuit que dans le droit européen la nationalité ne saurait être un titre suffisant à l’indépendance politique, et que les états de l’Europe sont à peu près tous formés de races diverses ; mais si la nationalité n’est pas un titre absolu à l’indépendance politique, les populations soumises à un gouvernement dont elles diffèrent au point de vue de la race et de la langue n’en conservent pas moins un droit imprescriptible à être bien ou tolérablement gouvernées. C’est seulement par la satisfaction de ce droit que la légalité littérale des traités se concilie avec l’équité naturelle. Là où ce droit est respecté, l’on n’entend aucune de ces réclamations, aucun de ces cris de douleur qui retentissent partout où on le viole. Le royaume-uni comprend des Écossais et des Irlandais ; les Irlandais et les Écossais d’aujourd’hui songent-ils à de-