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de juillet fut un retour pur et simple à l’administration impériale. On ne vit pas qu’on cherchait à foncier la liberté en fortifiant le plus grave des obstacles qui s’opposent à la liberté. « Là où l’administration, dit très bien M. Guizot, est libre comme la politique, quand les affaires locales se traitent et se décident par des autorités ou des influences locales, et n’attendent ni leur impulsion ni leur solution du pouvoir central, qui n’y intervient qu’autant que l’exigent absolument les affaires générales de l’état, en Angleterre et aux États-Unis d’Amérique, en Hollande et en Belgique, par exemple, le régime représentatif se concilie sans peine avec un régime administratif qui n’en dépend que dans d’importantes et rares occasions. Mais quand le pouvoir supérieur est chargé à la fois de gouverner avec la liberté et d’administrer avec la centralisation, quand il a à lutter au sommet pour les grandes affaires de l’état, et en même temps à régler partout, sous sa responsabilité, presque toutes les affaires du pays, deux inconvéniens graves ne tardent pas à éclater : ou bien le pouvoir central, absorbé par le soin des affaires générales et de sa propre défense, néglige les affaires locales, et les laisse tomber dans le désordre et la langueur, ou bien il les lie étroitement aux affaires générales, les fait servir à ses propres intérêts, et l’administration tout entière, depuis le hameau jusqu’au palais, n’est plus qu’un moyen de gouvernement entre les mains des partis politiques qui se disputent le pouvoir. » Ce qu’il y a d’étrange, c’est que le parti qui se croyait le plus libéral était le plus porté à commettre cette faute. M. Guizot en fut d’abord aussi exempt que le permettaient les circonstances. « Cherchez des hommes qui pensent et agissent par eux-mêmes, écrivait-il le 14 septembre 1830, comme ministre de l’intérieur, à M. Amédée Thierry, préfet de la Haute-Saône. Le premier besoin de ce pays-ci, c’est qu’il s’y forme sur tous les points des opinions et des influences indépendantes. La centralisation des esprits est pire que celle des affaires. »

Ces excellens principes ne furent guère suivis dans la suite. L’état, en janvier 1848, était bien plus chargé de fonctions qu’en juin 1830. Les progrès du budget durant ces dix-huit années le prouvent ; or tout progrès du budget correspond à quelque diminution de liberté. Certes il y aurait une souveraine injustice à comparer le genre de tyrannie sorti de nos perfectionnemens administratifs avec les tyrannies brutales qui ont laissé dans l’histoire un sanglant souvenir. Les tortures et les supplices du passé opposés à l’apparente douceur de notre législation font croire au premier coup d’œil qu’un âge d’or a succédé à un âge de fer. On ne pense pas que le propre du régime administratif est de prévenir ce que les régimes anciens punissaient ; sa douceur est peu méritoire, je dirai presque qu’elle est