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religieuse, il ne fut pas écouté; on admit en principe que nul n’a le droit de communiquer sa pensée à ses semblables sans la permission de l’autorité, et qu’à moins d’être salarié par le gouvernement, on ne peut avoir rien de bon à dire au public.

J’ai voulu m’expliquer comment il a pu se faire qu’au lendemain d’une révolution libérale, une telle mesure ait été prise par des hommes fort libéraux. Certes la première cause d’une telle législation doit être cherchée dans cette déplorable tendance qu’ont parmi nous les associations populaires à se changer en comités de gouvernement. Le club est la chose du monde la plus légitime, tant qu’il reste une réunion où s’élaborent des opinions bonnes ou mauvaises: il est un crime dès qu’il aspire à être un pouvoir dans l’état. Les amis de l’ordre cependant ne s’arrêtèrent pas à cette distinction essentielle. Ce qu’ils demandaient, c’est qu’on «mît un terme à toutes ces réunions qui venaient troubler la tranquillité publique et arrêter les opérations commerciales. » La liberté paya les frais de l’industrie en souffrance, et pour rétablir les affaires de quelques industriels, on trouva tout simple d’établir sur la société un vaste couvre-feu. Qu’on se figure l’éclat de rire qui eût accueilli à Florence ou à Pise une requête des négocians demandant la suppression de la vie publique, parce qu’elle nuisait à leur commerce. Nous subissons trop la tyrannie de ces sortes d’intérêts, tout respectables qu’ils sont. L’état n’a point à se mêler de la fortune privée : on doit à l’industrie la liberté; mais il ne faut pas lui sacrifier celle des autres. Chose étrange! ce fut la garde nationale qui, de son propre mouvement et sans s’inquiéter si elle en avait le droit, envahit les clubs, siffla les orateurs (fort ridicules en effet, j’en suis sûr), et accompagna les assistans de huées à leur sortie. L’éducation de la liberté était si peu avancée, qu’un corps constitué en vue de la défense de l’ordre commettait, pour donner satisfaction à ses craintes, un acte vingt fois plus séditieux que ceux qu’il voulait empêcher.

J’ai insisté sur cet exemple, car il n’en est aucun qui mette aussi bien dans tout son jour la fatale réciprocité d’erreur qui existe d’une part entre la turbulence populaire, toujours portée à peser illégalement sur l’état, et de l’autre la timidité exagérée qui fait croire au parti conservateur que tout mouvement d’opinion doit être prévenu comme un danger. Les complots, les sociétés secrètes ont presque toujours pour point de départ une liberté violée. L’Angleterre n’a pas de conspirateurs, parce qu’elle a des meetings. — Le meeting, dira-t-on, c’est le club, et le club c’est l’anarchie. — Le club est l’anarchie dans un état de choses où, pour obtenir ce que l’on désire, il faut renverser le pouvoir et se mettre à sa place. Le club sera ou utile ou inoffensif le jour où les voies légales de la pro-