Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/203

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rent dès ses premiers jours? C’est ce qu’il importe maintenant de rechercher. Disons-le bien haut, pour ne pas être injuste envers un roi auguste, une famille accomplie, des hommes éminens, ce gouvernement a donné à la France les dix-huit meilleures années que notre pays et peut-être l’humanité aient jamais traversées. C’est assez pour le défendre contre ceux qui ont intérêt à croire qu’il ne fut que faible et bas; ce n’est pas assez pour le philosophe qui, envisageant sur une longue échelle la portée des événemens, s’est habitué à ne juger les faits de l’histoire que d’après leur influence définitive sur les progrès de la moralité humaine et de la civilisation.

Fidèle à sa théorie sur l’origine des droits du roi Louis-Philippe, M. Guizot résume en un mot les devoirs du gouvernement sorti de la révolution de juillet: deux partis, celui du mouvement (que M. Guizot appelle ailleurs celui du laisser-aller) et celui de la résistance, se disputaient la direction du pays; le second devait être celui du roi et de ses ministres. En mettant en pratique cette théorie, l’illustre homme d’état ne faisait que suivre la ligne qu’il avait toujours préférée. Le 23 novembre 1829, M. de Lafayette écrivait à M. Dupont (de l’Eure) : « M. Guizot est plus monarchique et moins démocrate, je pense, que vous et moi, mais il aime la liberté. Il sait beaucoup, s’exprime avec talent; il a de l’élévation, du caractère et de la probité. Avec une administration doctrinaire, il s’arrêterait en-deçà de nous; jusque-là, tous les projets ministériels trouveront en lui un habile contrôleur dans le sens libéral[1]. » Il fut après la révolution de juillet ce qu’il s’annonçait auparavant, et comme l’opinion obéissait alors à des empressemens souvent désordonnés, il pensa qu’en général le devoir de l’homme d’état devait être de résister à l’opinion.

Je ne veux point faire en détail la critique d’une conduite que d’impérieuses nécessités dominaient. J’avoue cependant que la formule que l’habile théoricien de la révolution de juillet assigne à la politique de la dynastie nouvelle me parait impliquer une certaine confusion d’idées. La tendance à beaucoup gouverner et la révolution ne sont pas deux choses contraires; elles vont souvent de pair : c’est la liberté qui est l’opposé de l’une et de l’autre. Certes le laisser-aller est toujours mauvais. Ce qui est désordre, violence, attentat au droit d’autrui, doit être réprimé sans pitié. Les délits contre les personnes et les propriétés ne sont pas plus permis en un temps qu’en un autre. Le sang versé pour empêcher la plus inoffensive illégalité n’est pas à regretter. De là pourtant à ce principe général

  1. Mémoires du général Lafayette, t. VI, p. 341.