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Canton et le correspondant du Times. Le premier, après quelques mois de captivité dans la capitale de l’Inde anglaise, est mort d’une sorte de maladie de langueur et s’est tranquillement endormi dans l’éternité du Tao-li ; le second est revenu en Angleterre, où il a mis ses papiers en ordre, revu ses lettres et publié l’intéressant volume que j’ai essayé d’analyser. Ces notes de voyage recueillies à la hâte, ces impressions rapides au sujet des hommes et des choses du Céleste-Empire présentent un double intérêt de vérité et de variété qui explique l’accueil fait au livre de M. Cooke par le public anglais. L’auteur a contribué plus que personne à répandre dans son pays et en Europe, grâce à l’immense circulation du Times, des notions exactes sur les devoirs de la politique européenne en Chine ; ses lettres familières, où les réflexions les plus sérieuses trouvent place à côté des piquantes scènes de mœurs et des grâces faciles du récit, complètent utilement les dépêches officielles, condamnées aux réticences et aux demi-mots. Ce n’est pas que M. Cooke prétende avoir en ces quelques pages révélé les mystères du caractère chinois, qui lui est apparu, écrit-il dans une de ses lettres, comme un « fagot de contradictions, » d’où il est bien difficile de dégager, quant à présent, un ensemble d’appréciations exactes. Il a du moins suivi d’assez près les incidens de la dernière campagne entreprise contre le Céleste-Empire pour apercevoir les fautes commises dans le passé par la diplomatie européenne, et pour tracer sûrement certaines règles qu’il conviendra d’observer à l’avenir envers les mandarins et envers le peuple. Il a étudié avec soin les ressources commerciales que doit offrir à la Grande-Bretagne et au monde entier l’ouverture des ports et des fleuves. Enfin il a raconté fidèlement les curieux épisodes qui se rattachent à la prise de Canton, et qui intéressent la France aussi bien que l’Angleterre. Ajoutons qu’en parlant de la France et du rôle plus actif qu’elle a résolu de prendre dans les affaires de l’extrême Orient, il s’exprime toujours avec une équité bienveillante, et que ses jugemens sont exempts de cette humeur jalouse qui trop souvent inspire à notre égard la polémique des publicistes anglais. À tous ces titres, il mérite d’obtenir parmi nous un accueil sympathique. Bien que l’attention soit aujourd’hui si légitimement attirée vers d’autres champs de bataille illustrés par de plus brillans triomphes, la question chinoise n’en doit pas moins tenir en éveil la sollicitude des gouvernemens. Indépendante des luttes européennes, elle survivra aux émotions présentes ; on aurait tort de l’oublier.


C. LAVOLLEE