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se prêteraient pour la forme aux cérémonies du culte de Bouddha, sont purement et simplement des panthéistes ; ce qui a fait dire à quelques savans allemands, quand ils ont lu la doctrine du Tao-li développée dans le Times, que « ces Chinois sont en vérité fort avancés. » Il n’est pas inutile d’ajouter que, tout en se déclarant l’adepte de cette philosophie supérieure, le vice-roi fut pris, malgré ses dénégations, en flagrant délit de sorcellerie et d’horoscope. On trouva dans ses papiers des livres de bonne aventure ; avant de se faire raser, il consultait son almanach pour voir si le jour était propice. Il prétendit, il est vrai, ne point attacher d’importance à ces sortes de choses et n’avoir aucune foi dans les horoscopes ; mais il ne se gênait jamais pour dire le contraire de la vérité, le mensonge étant aux yeux des Chinois un péché des plus véniels et une façon très licite de ne pas exprimer sa pensée.

Les sujets de conversation ne firent point défaut pendant cette longue traversée, M. Cooke avait résolu de confesser le malheureux vice-roi sur tous les points. Yeh ne se laissait pas toujours entraîner de bonne grâce sur le terrain des interrogations ; quand il ne lui convenait plus d’être sur la sellette, il savait fort bien échapper à son infatigable questionneur, qui ne lui eût laissé ni repos ni trêve. Pourtant, à en juger par le compte-rendu de M. Cooke, il fut question à peu près de tout dans ces entretiens sur le pont de l’Inflexible. L’insurrection chinoise, les exécutions de Canton, l’administration intérieure du Céleste-Empire, l’opium, la politique des Anglais dans l’Inde, la France comme du vice-roi comme un pays où l’on boit beaucoup de café et où l’on produit beaucoup de vin, la liberté du commerce, etc., ces différens sujets furent successivement abordés. Yeh ne partageait point l’avis de M. Cooke sur les avantages que son pays pourrait retirer des facilités accordées au commerce avec l’étranger. L’ouverture de nouveaux ports devait, selon lui, augmenter la concurrence, et il n’en attendait rien de bon. « Autrefois, dit-il, les Européens nous vendaient d’excellentes montres ; depuis que le commerce est libre, celles qu’ils nous vendent sont détestables. J’avais une bonne montre que j’ai perdue, j’en ai acheté une autre qui marche très mal : voilà votre free trade ! » M. Cooke ne fut pas à court d’argumens économiques pour combattre l’opinion du vice-roi en matière de législation commerciale : il lui parla production, consommation, concurrence, ainsi qu’il convenait à un rédacteur du Times, fervent sectateur de M. Cobden. Yeh s’en tint à l’expérience de sa montre, et ne voulut rien admettre. Fort heureusement les rancunes du mandarin déchu ne pouvaient plus exercer aucune influence sur la politique commerciale du gouvernement de Pékin.

L’Inflexible débarqua sur les quais de Calcutta l’ancien vice-roi de