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probable qu’après l’assaut ces guerriers avaient prudemment laissé là leurs armes et déposé la casaque d’uniforme pour rentrer simplement dans les rangs de la vie civile. Peut-être à ce moment même figuraient-ils parmi les coolies qui portaient le trésor au camp anglais : il serait, au reste, fort injuste de trop médire de ces pauvres Tartares. Ils ne s’étaient réellement pas mal battus pendant l’assaut. Que pouvaient-ils faire avec leurs mauvaises armes contre les canons, les fusils et les revolvers européens ? Ici comme après le combat de Fatschan, M. Cooke reconnaît qu’il y aurait en eux l’étoffe de bons soldats. Ce n’est point le courage, c’est la discipline, c’est l’armement qui leur manquent.

L’expédition dans l’intérieur de Canton n’avait donc pas été stérile. On avait pris le gouverneur civil et le général, on s’était emparé des caisses, on avait éprouvé le tempérament de la population, qui montrait à l’égard de ses vainqueurs les dispositions les plus débonnaires ; mais ce n’était pas tout. On savait que le vice-roi Yeh était resté dans la ville, et il importait de découvrir le lieu de sa retraite. Le consul anglais, M. Parkes, se chargea de diriger les recherches. En recueillant divers indices, il apprit que le vice-roi s’était caché dans la demeure d’un fonctionnaire subalterne. Le détachement conduit par M. Parkes se porta en toute hâte vers l’endroit indiqué, et l’on trouva en effet la maison dans un grand émoi. Il y avait là tout un état-major ahuri de mandarins et une foule de caisses et de ballots qui contenaient sans doute les archives et les papiers d’état. La scène présentait l’aspect d’un déménagement précipité. Quand les soldats anglais eurent franchi la porte, les mandarins se répandirent éperdus dans toutes les salles, croyant que leur dernière heure était arrivée. L’un d’eux cependant, et c’est un beau trait, se présenta au commandant de la troupe, déclarant qu’il était le vice-roi. Malheureusement pour lui, et surtout pour Yeh, son embonpoint ne répondait pas au signalement connu du haut personnage que l’on cherchait, et M. Parkes poursuivit activement ses investigations. À ce moment, on aperçut un gros homme qui s’efforçait à grand’peine d’escalader le mur du jardin ; c’était le vice-roi. Il fut immédiatement saisi par l’un des officiers et amené devant le consul. Il nia d’abord très énergiquement son identité ; puis, vaincu par l’évidence, il tomba dans un abattement profond, d’où il ne fut tiré que par la promesse de la vie sauve. Peu à peu ses traits se recomposèrent, il reprit son assurance et presque la dignité du commandement. S’asseyant dans son fauteuil, il déclara à M. Parkes qu’il était prêt à donner audience à lord Elgin et au baron Gros. Il croyait ainsi faire beaucoup d’honneur à ces ambassadeurs étrangers. L’attitude et les paroles du consul l’eurent bientôt rappelé à la réalité de sa situation, et quand il monta dans