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possession des principaux forts et donné l’assaut : la ville était à la discrétion des alliés, qui cependant continuèrent à camper en dehors des murs, à près d’une lieue de la rivière.

Voici donc M. Cooke au bivouac. Il s’installe, en nombreuse compagnie, dans un temple, sous les regards démens des idoles chinoises. On couche sur les dalles, on fait la cuisine dans les urnes de bronze consacrées au culte, on s’éclaire avec les cierges rouges, qui servent même, ô profanation ! à graisser les bottes des vainqueurs. Autour du temple, les soldats sont campés en plein air, se reposant de leurs fatigues et faisant bonne chère avec la volaille des environs et avec les carpes pêchées dans les étangs de la pagode ; mais cette installation plus que sommaire et ces approvisionnemens de maraude ne suffisent pas : il faut, pour organiser le campement et les vivres, établir des communications avec l’escadre et régler la marche des convois. Or nous trouvons dans le récit de M. Cooke des doléances absolument identiques à celles que nous nous souvenons d’avoir lues dans les correspondances de M. Russell en Crimée, quant à l’imperfection des services administratifs de l’armée anglaise. À Canton comme sous les murs de Sébastopol, rien n’était prêt ; les soldats, accablés par le soleil ou inondés par la pluie, n’avaient ni abri ni vivres, et la maladie fut pour eux plus meurtrière que le combat. On avait, il est vrai, engagé à Hong-kong un certain nombre de coolies qui étaient soumis à une sorte de discipline et devaient être employés aux transports ; mais l’ordre et l’activité faisaient défaut, les soldats anglais n’étant pas habitués à la besogne des corvées, et les officiers ne se sentant pas le moindre goût pour diriger ce genre d’opérations. Rien de plus plaisant que l’odyssée de M. Cooke en quête de sa valise et de quelques bonnes bouteilles de sherry, qu’il dut aller lui-même chercher à bord, car le malheureux manquait de tout. C’est en triomphe qu’il rentre au camp, après une campagne des plus laborieuses, avec son manteau, ses bouteilles et un pâté. Il avait grand besoin en effet de réparer ses forces ; aurait-il pu dignement célébrer les exploits de ses compagnons et narrer dans tous ses détails, en quelques pages d’une correspondance écrite à la légère, la prise de Canton, s’il n’avait fait au préalable un bon repas et un bon somme ? Quant aux Français, ils savaient, au témoignage de M. Cooke, là comme ailleurs, merveilleusement se débrouiller. Les commissaires et les commis aux vivres avaient leurs convois tout parés, et les soldats de marine, non moins lestes que les matelots, portaient gaiement et en ordre les barriques de provisions destinées aux camarades du camp. Ils n’avaient point pour leur prêter main-forte un bataillon de coolies tout organisé ; mais malheur au Chinois qu’ils rencontraient sur la route ! Ce naturel du pays était immédiatement saisi