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elles aussi, mais pour l’œil seulement, d’une mystérieuse grandeur : un lac d’une beauté incomparable, entouré de palais, de monastères, de kiosques se mirant dans ses eaux. Tous ces tableaux furent livrés à leur curiosité profane ; mais ce qui devait les intéresser plus encore, c’était la controverse proposée par M. Edkins et acceptée par les bonzes au sujet des doctrines religieuses des Chinois. « Ces bonzes, dit M. Cooke, traitent leurs grotesques divinités avec un mépris égal au nôtre. Ils divisent les fidèles en trois classes. En tête se rangent les gens instruits, qui ne pratiquent le rite et l’abstinence de toute nourriture animale que par manière de discipline, et qui placent leur religion dans les purs domaines de l’abstraction, où leur âme doit peu à peu atteindre ce degré de perfection ineffable que la foi seule peut concevoir. Puis viennent les esprits moins élevés, qui, incapables de conquérir cette abstraction suprême, aspirent simplement à mériter le ciel de Bouddha, où, arrivés au terme de leurs transmigrations, ils passeront l’éternité sur la feuille de lotus à contempler la sainte face de leur dieu. Enfin se présente le vulgaire, dont la piété est toute dans les cérémonies extérieures, qui frappe du front les marches des temples, brûle l’encens, allume des cierges, etc. Cette dernière classe se compose en majeure partie de vieilles femmes, et les bonzes prétendent que l’ambition de ces dévotes est de revenir sous des traits d’hommes lors de leur prochaine transmigration. » Tel est, d’après le résumé de M. Cooke, le bouddhisme chinois, qui se complique en outre de différentes sectes. Dans cette prétendue religion, il n’y a ni foi, ni fanatisme, ni intolérance. « Croyez-vous en Jésus-Christ ? demanda M. Edkins à un bonze qui venait d’écouter très patiemment un long sermon du missionnaire. — Certainement j’y crois, répondit froidement le prêtre de Bouddha. — Mais comment y croyez-vous ? Êtes-vous convaincu ? Sentez-vous bien que ce que je viens de vous enseigner est la vérité ? — J’y crois, parce que vous voulez bien me le dire, répliqua l’autre avec une exquise politesse. » C’est précisément cette indifférence, cette froideur, cette politesse, c’est ce néant de piété qui fait le désespoir des missionnaires chrétiens, et surtout des missionnaires protestans, qui prétendent n’asseoir la vérité que sur la raison. Que sert-il de prêcher, de porter la lumière dans le vide ? Le christianisme n’a point d’autel qui puisse le recevoir dans ces esprits qu’aucune conviction sincère, ni en politique, ni en morale, ni en religion, n’a jamais possédés. C’est ce qui explique l’échec permanent du protestantisme en Chine malgré l’habileté, l’instruction et le caractère généralement estimable des pasteurs qui se sont mis à l’œuvre. On a jeté les Bibles au vent, et rien de plus. Si les missionnaires catholiques ont obtenu plus de succès, cela provient non-seulement de ce que leurs efforts, plus anciens, plus énergi-