à un bâtiment européen. Il existe cependant une autre route : on peut se rendre directement de Shang-haï à Ning-po par la voie de terre, et comme il s’agit de traverser toute une province d’où les étrangers sont formellement exclus, l’affaire n’est pas des plus simples. Ajoutez qu’au moment où M. Cooke songeait à tenter l’entreprise, la guerre, déjà déclarée à Canton, menaçait de s’étendre, et qu’un Anglais devait jouer gros jeu en se lançant ainsi à travers le pays ennemi. Cette considération n’arrêta point un voyageur qui s’inspirait des souvenirs de M. Fortune. Un matin donc, M. Cooke, après avoir recruté deux compagnons, un missionnaire, M. Edkins, et un médecin de Canton, le docteur Dickson, fit venir un barbier et un tailleur chinois. Le barbier lui rasa la tête, ne laissant qu’une petite touffe de cheveux à laquelle devait s’adapter une magnifique queue postiche digne d’un mandarin ; le tailleur l’affubla d’un costume chinois ; une grande paire de lunettes compléta le déguisement, et quand l’opération fut tout à fait terminée, M. Cooke crut pouvoir se flatter que personne ne s’aviserait de reconnaître sous de pareils traits un correspondant du Times.
M. Cooke s’était pourvu d’un bateau et d’un domestique. Celui-ci, répondant au nom d’A’Lin, était originaire de Ning-po. Le choix paraissait très judicieux, puisque l’on allait à Ning-po. L’excellente aubaine que de mettre la main sur un serviteur qui connaît le pays, qui en sait les us et coutumes, qui parle le patois indigène, qui sera là comme chez lui ! Mais avant d’arriver à Ning-po il fallait traverser plusieurs districts ; or M. Cooke ne tarda pas à s’apercevoir que son fidèle A’Lin ne pouvait s’entendre avec les gens de Shang-haï qu’en se servant du dialecte de Canton, assez répandu sur toute la côte, — d’où il conclut qu’une fois dans l’intérieur, si l’on voyageait dans les parages d’un autre dialecte (ce qui était fort vraisemblable), les services d’A’Lin comme interprète seraient d’une médiocre utilité. Comme j’ai eu moi-même l’occasion de voir deux Chinois parlant chinois sans pouvoir se comprendre, et ne parvenant enfin, après mille efforts, à se communiquer leurs pensées qu’en parlant anglais, et quel anglais ! je me rends compte aisément de la situation. Quant au bateau, il était de tous points semblable au modèle que nous a décrit M. Fortune : un peu plus grand qu’une gondole vénitienne, il avait au centre une cabine de deux mètres et demi carrés, meublée nécessairement de la façon la plus simple, — un coffre pour les bagages, une natte, une table et deux escabeaux. Sur l’une des parois était ménagée une sorte de décoration servant d’autel pour les voyageurs pieux ; une niche vide attendait la statuette du dieu protecteur, et de petits candélabres dressaient leurs pointes, destinées à recevoir des cierges. C’était là que devait s’animer M. Cooke, au milieu de son bagage de voyage, où figuraient au premier plan