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sante. Une partie du terrain a été concédée à l’Angleterre, une autre portion à la France, qui n’y possède guère, il faut le dire, que la demeure de son consul. Le quartier anglais est couvert de maisons somptueuses, affectant, selon le goût plus ou moins singulier de leurs propriétaires, la forme d’un temple grec ou celle d’un palais italien. On retrouve là, sur le sol de Chine, une seconde édition de la ville des palais qui s’élève sur les rives du Gange. À Shang-haï, comme à Calcutta, se sont installées toutes les aises du luxe occidental ; il s’y est créé d’immenses richesses, les millions abondent. Tout cela est l’œuvre du commerce. Nulle part peut-être les entreprises du négoce n’ont été plus hardies ni plus heureuses. Le génie du trafic n’existe pas à un moindre degré chez les Chinois que chez les Anglais et les Américains. Dès le premier jour où ces trois peuples se sont trouvés en présence sur un nouveau marché, ils ont acheté, vendu, spéculé avec acharnement, et il semble que rien, pas plus la guerre étrangère que la guerre civile, ne doive prévaloir contre cette incroyable activité d’échanges.

À son arrivée à Shang-haï, M. Cooke put apprécier l’importance de cette métropole commerciale ; il n’avait qu’à jeter les yeux sur la rivière, où étaient mouillés, le long des quais du quartier européen, de nombreux trois-mâts, et sur l’arrière-plan, devant la ville chinoise, des milliers de jonques. De plus il lui était facile de compulser les registres du consulat, de calculer les importations, les exportations, les réexportations et toutes les opérations de même espèce. Comment aurait-il négligé de s’acquitter de ce devoir ? Quant à nous, hâtons-nous d’esquiver ces parages de la statistique, défilés perfides où s’engagent trop souvent, au risque de succomber sous le faix des chiffres, les voyageurs officiels, et cherchons des horizons plus gais.

M. Cooke était logé à Shang-haï chez un riche négociant, M. Beale, et il occupait un appartement qu’avait habité M. Fortune, cet amusant botaniste dont nous avons raconté les voyages et les aventures dans l’empire des fleurs[1]. C’était là que M. Fortune étalait ses belles collections, là qu’il préparait ses plans de campagne et s’équipait pour faire des pointes, parfois assez risquées, dans les districts voisins. Il faut croire que le passage de ce hardi touriste avait laissé dans l’appartement une sorte de tradition voyageuse. M. Cooke y fut à peine installé, qu’il se trouva obsédé par l’idée de se remettre en route. De Shang-haï, il devait aller à Ning-po. Des navires européens exécutent fréquemment la traversée entre ces deux ports ; c’est un voyage comfortable, assez court, la vapeur aidant, et parfaitement garanti contre les pirates, qui n’oseraient trop s’attaquer

  1. Un Botaniste en Chine, livraison du 1er juillet 1858.