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Villars prit les 15,000 livres et les porta au prince de Conti, qui les reçut fort bien. Marsin étant arrivé sur ces entrefaites, on commanda aux capitaines de quartiers de faire mettre le peuple sous les armes, on s’apprêta à s’emparer des conspirateurs et à en tirer une vengeance éclatante.

Ils étaient dans une sécurité profonde. Le 20 mars, le père Berthod s’était glissé dans Bordeaux pour diriger l’insurrection, et il était en conférence avec le père Ithier, lorsqu’on vint chercher celui-ci de la part de Mme de Longueville. Le père Berthod le pria de n’y point aller, lui disant que la princesse était plus fine que lui, et qu’il lui arriverait malheur. En effet, le père Ithier, s’étant rendu à cette invitation, fut arrêté dans l’hôtel même de la princesse, et livré immédiatement à une commission présidée par le prince de Conti, et composée de Marsin, de Lenet et du lieutenant des gardes du prince. Le père Ithier commença par des désaveux; mais comme on lui produisit les 15,000 livres qu’il venait de remettre à Villars, Villars lui-même et les six ormistes devant lesquels tout avait été convenu et arrêté, accablé sous ces témoignages, le pauvre religieux prit le parti de dire la vérité tout entière et de ne rien celer, déclarant qu’il était à la reine et avait tout fait pour son service, mais protestant qu’il avait toujours été convenu qu’on ne ferait aucun mal aux princes, aux princesses et à leurs amis, et qu’ils pourraient sortir de Bordeaux comme le prince de Condé était sorti de Paris. D’ailleurs il nomma tous ses complices. Que devint Mme de Longueville lorsqu’elle apprit qu’une de ses chères et vénérées carmélites était entrée si fort avant dans la conspiration ! C’est sans doute grâce à son intervention que le procès-verbal officiel de l’interrogatoire du père Ithier, conservé par Lenet[1], omet le nom de la mère Angélique et dit seulement : « une religieuse dont son altesse a défendu d’écrire le nom. » L’interrogatoire achevé, on conduisit le père Ithier dans la prison de l’hôtel de ville pour que son procès lui fût fait devant le tribunal de l’Ormée.

En attendant qu’on jugeât le père Ithier, on se mit à la recherche de ses complices, et particulièrement du père Berthod. On soupçonna sur quelque indice qu’il pouvait être caché dans le couvent des bénédictins ou dans celui des capucins; deux compagnies de l’Ormée entrèrent dans les deux couvens et fouillèrent jusque dans les coffres de la sacristie où l’on renferme les vases saints[2]. Violences inutiles : l’habile conspirateur, familier avec tous les déguisemens, s’était habillé en homme de guerre, et était allé se mettre

  1. Lenet, p. 600.
  2. Mémoires du père Berthod, p. 406.