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d’avoir été trompé par lui, et il avait cultivé avec plus de soin que jamais la confiance du prince de Conti et de Mme de Longueville. En sa qualité de gardien du couvent des cordeliers, il avait quelques relations avec la supérieure d’un couvent voisin du sien, la seconde maison des carmélites de Bordeaux, qu’on appelait les petites carmélites[1]. Cette supérieure se nommait la mère Angélique. S’étant assuré de ses sentimens, le père Ithier lui confia son entreprise, et l’y fit entrer. La mère Angélique avait dans son couvent la sœur de Villars, l’un des plus bruyans et des plus puissans chefs de l’Ormée. Villars aimait beaucoup cette sœur, la venait voir souvent, lui exprimait un grand dégoût de la vie qu’il menait, le désir de la quitter et de sortir du parti où il était en rendant au roi quelque service signalé[2]. La prudente religieuse ne se contente pas de ces premiers mouvemens; elle étudie son frère, le sonde, l’éprouve, et lorsqu’elle le croit affermi dans ses bonnes résolutions par les fréquentes communions qu’elle lui voit faire, elle le présente à sa supérieure, qui, dirigée par le père Ithier, dirigé lui-même par le père Berthod, amène successivement Villars à un traité en règle qui paraît avoir été parfaitement sincère. Villars demanda pour la ville et pour son parti des garanties solides, avec des amnisties spéciales et personnelles; pour lui-même, 30,000 écus, la charge de syndic, et d’abord une lettre du roi qui lui promettrait formellement ces diverses récompenses, pour les services que Villars disait avoir rendus, comme d’avoir empêché la ville de se républiquer[3], et de l’avoir délivrée d’une garnison espagnole que M. Le Prince y voulait mettre. Cette lettre royale, rédigée selon la teneur convenue et dûment contre-signée par M. de La Vrillière, fut rapportée de Paris par le père Berthod le 7 ou le 8 de mars, remise au père Ithier, qui se hâta de la porter à la mère Angélique, laquelle la remit à Villars. Celui-ci, en la recevant, sauta d’aise, bénit Dieu et s’écria : « Me voilà délivré de la potence! » Il s’engagea de nouveau, et fit connaître à la mère Angélique le plan qu’il avait formé et les moyens dont il comptait se servir. Comme, sous le nom et sous l’autorité apparente du prince de Conti, c’était l’Ormée qui en réalité gouvernait Bordeaux, Villars se proposait de combattre l’Ormée par elle-même, et de s’en rendre maître en gagnant le plus d’ormistes qu’il pourrait. Il commença par se former, sous divers prétextes, une garde composée de soixante hommes bien choisis, et dont il était

  1. Il y avait au XVIIe siècle à Bordeaux deux couvens de carmélites situés aux deux extrémités opposées de la ville. Les petites carmélites étaient du côté du faubourg de Sainte-Croix, et n’étaient séparées du jardin des cordeliers que par une rue.
  2. Mémoires du père Berthod, p. 395.
  3. Ibid., p. 397.