Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/123

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parce qu’il s’opposait à ce qu’on mît garnison espagnole dans Bordeaux. Plusieurs membres du parlement soutinrent qu’il y avait eu réellement conspiration, Massiot nia tout dessein contre la personne du prince de Conti et contre la maison de Condé, mais il déclara qu’il avait en effet tenté de se saisir de l’hôtel de ville et de se défaire des chefs de l’Ormée, qu’il l’avouait, le tenait à honneur, et le ferait savoir au roi. Ce hardi langage étonna et agita l’assemblée. Il y eut des conseillers qui osèrent approuver Massiot. Le président d’Affis, celui-là même qui, en septembre 1651, à la place du premier président Dubernet, avait reçu Condé et lui avait promis avec tant de chaleur l’appui de la compagnie, s’emporta contre les usurpations de l’Ormée. Au milieu de ces débats confus, la nuit vint, et on leva la séance sans avoir rien décidé. Cependant le peuple attroupé autour du palais[1] ne cessait de réclamer à grands cris la tête de Massiot. On avait peur qu’il ne fût mis en pièces à la sortie de l’audience. Le prince de Conti dit qu’il conduirait volontiers le prévenu dans son hôtel[2], mais qu’il n’y répondrait pas de sa vie. Il offrit de le mener à l’hôtel même[3] du prince de Condé, comme en un asile inviolable, et il se dirigea de ce côté; mais le peuple força la voiture du prince d’aller à l’hôtel de ville[4], où Massiot fut jeté dans les fers. On eut bien de la peine à sauver la vie du courageux conseiller. Sa famille, qui était fort considérée, obtint sa liberté à condition qu’il quitterait Bordeaux immédiatement. Il se rendit à Agen, et on le voit figurer parmi ceux qui assistèrent à la première séance du parlement royal, le 3 mars 1653.

Le soir de la scène que nous venons de raconter, il y eut chez Mme de Longueville une réunion de tous les principaux du parti[5]. Là, sous les auspices de l’ancienne reine de la fronde, on prit la résolution de ne se jamais séparer de Condé, de faire prévaloir à tout prix son autorité, de se rendre maître du parlement en chassant tous les membres dont on ne serait pas sûr, enfin de s’appuyer ouvertement sur l’Ormée, selon les derniers ordres qu’on avait reçus de M. Le Prince. En conséquence, quelques jours après le prince de Conti, comme lieutenant-général de son frère, se transporta à l’hôtel de ville et y signa solennellement l’union avec l’Ormée.

Tout ce qu’il y avait encore à Bordeaux de membres du parle-

  1. Situé sur la Place du Palais, pas bien loin du quai. Au XVIIIe siècle, le palais du parlement fut transféré ailleurs. Il n’y en a aujourd’hui d’autre vestige que la rue du Parlement.
  2. Quartier du Chapeau-Rouge, rue des Fossés-du-Chapeau-Rouge. Cette rue subsiste.
  3. Cet hôtel était dans la rue du Mirail, qui subsiste aussi.
  4. Près de la rue du Mirail, entre le collège des jésuites et le collège de Guienne.
  5. Lenet, p. 592.