Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de casque en carton qui renfermait une chandelle ; le point qu’il travaillait se trouvait ainsi parfaitement éclairé, sans que ses mains fussent embarrassées[1].

Nous possédons plusieurs portraits de Michel-Ange. Les renseignemens minutieux, et qui paraîtraient puérils, s’il s’agissait de tout autre, que nous fournissent ses biographes, permettent de se le représenter avec beaucoup de précision. Il était de taille moyenne, large des épaules, mince et bien proportionné, d’une complexion très saine et vigoureuse, qu’il devait autant à la régularité de sa vie qu’à la nature, d’un tempérament sec et nerveux. Il avait eu plusieurs maladies dans son enfance, et deux fort graves dans son âge mûr. Il avait la tête ronde, les tempes saillantes, le front carré et spacieux coupé horizontalement de sept lignes droites, le nez, comme on sait, écrasé par un coup de poing de Torrignano. Ses lèvres étaient minces, celle de dessous un peu plus longue que l’autre, ce qui se remarquait surtout lorsqu’on le voyait de profil. Ses sourcils étaient peu épais, les yeux petits plutôt que grands, de couleur de corne, tachetés d’étincelles jaunes et azurées, les cheveux noirs, la barbe de même couleur, peu fournie, longue de quatre ou cinq doigts, fourchue, et à la fin de sa vie seulement très mêlée de poils blancs. Son expression était agréable, vive et décidée.

Tel fut Michel-Ange, le dernier et le plus grand des maîtres sévères. Cette gigantesque figure clôt et résume le mouvement inauguré par Dante et par Giotto, poursuivi par les Orgagna, les Brunelleschi et les Léonard. Surpassé sans doute par plusieurs de ses contemporains ou de ses devanciers dans quelques-uns des arts qu’il a cultivés, ce fier et sombre génie a marqué toutes ses œuvres d’une formidable empreinte. Il n’eut point de postérité, car il serait injuste de lui demander compte des extravagances de ses impuissans successeurs, qui crurent l’imiter en affectant le sublime, oubliant que sans la force l’audace n’est que ridicule. Ce n’est pas seulement par l’énergie créatrice de sa toute-puissante imagination, mais par un ensemble inouï des plus hautes et des plus rares facultés, qu’il l’emporta sur les hommes célèbres de cette prodigieuse époque. Peintre, sculpteur, architecte, ingénieur, poète, citoyen, il apparaît entre Dante, Léonard, Brunelleschi, Raphaël, comme un titan, dernier rejeton d’une race perdue qui domine cette armée de géans. Et puisque son caractère égalait son esprit, n’est-on pas en droit de lui attribuer la première place parmi les grands hommes de l’ère moderne?


CH. CLEMENT.

  1. Vasari écrit à ce propos : « J’avais remarqué qu’il ne se servait pas de bougies, mais de chandelles de suif de chèvre, qui sont excellentes; je lui en envoyai quatre paquets qui pesaient bien quarante livres. Je les lui fis porter à deux heures après minuit. Il les refusa d’abord; mais mon domestique dit : « Messire, elles m’ont cassé les bras depuis le pont jusqu’ici, et certes je ne les reporterai pas à la maison. Il y a devant votre porte un monceau de boue, je les planterai toutes dedans et les allumerai. — Eh bien ! pose-les ici, répondit Michel-Ange; je ne veux pas de pareilles plaisanteries à ma porte. »