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sorte, à l’heure qu’il est, plus redoutées encore par les partisans de l’ancien régime que par ses adversaires. L’instinct de leur sûreté personnelle éclaire à cet égard le petit nombre des amis des familles souveraines ; ils sentent sûrement que les pouvoirs restaurés n’auraient pas la force de les protéger. C’est là un curieux phénomène dont la diplomatie européenne doit tenir compte. Il montre qu’avec les anciens élémens tout pouvoir vigoureux, par conséquent actif et fécond, vivant de sa vie propre, serait impossible dans l’Italie centrale. Il n’y a pas de signe plus éclatant d’une déchéance irrévocable. Le négliger et passer outre, ce serait condamner à perpétuité l’Italie centrale à l’anarchie et à l’occupation étrangère, ce serait étendre aux duchés ce scandale du gouvernement temporel du saint-père, qui tombe dès que la main de l’étranger se retire. Qu’un tel état de choses soit toléré lorsque pour y porter remède il faudrait s’exposer à troubler une situation générale et à mettre en péril des intérêts plus vastes, cela s’explique et se justifie ; mais lorsque, s’élevant au-dessus de ce respectable scrupule et au prix d’un violent ébranlement, l’on a’acquis sa liberté d’action, lorsque les grands risques ont été courus et traversés, lorsque l’on a devant soi place nette, — ne serait-ce pas commettre une impardonnable imprudence que de rétablir purement et simplement la situation caduque et impossible à laquelle on s’était proposé de porter remède ? La Toscane repousse donc énergiquement dans la maison de Lorraine la restauration de la suzeraineté autrichienne ; elle n’a aucune foi dans une constitution accordée par ses anciens princes, et qui ne serait qu’une capitulation arrachée par la défaite, au lieu d’être un véritable pacte d’alliance entre le pays et son gouvernement ; elle nourrit enfin de grands doutes à l’égard d’un projet de confédération qui, comprenant les princes autrichiens et le pape, ne ferait que légaliser en quelque sorte la prépondérance abusive exercée par l’Autriche en Italie jusqu’à la guerre actuelle. Le sentiment anti-autrichien est si fort en Toscane, que la seule appréhension d’une restauration a suffi pour éteindre sur-le-champ l’esprit si prononcé d’autonomie et cette fierté jalouse des traditions florentines qui animaient cette belle province. Devant une telle perspective, l’idée de l’annexion avec le Piémont, qui dans ces derniers temps encore avait à vaincre bien des répugnances locales, est devenue instantanément le vœu de tous. Le premier acte de l’assemblée toscane sera donc, on peut s’y attendre, une manifestation éclatante de ce sentiment. L’assemblée protestera contre le retour de l’influence étrangère, et proclamera sa sympathie pour le premier état italien qui a porté le drapeau de l’indépendance ; elle votera un acte de fusion avec le Piémont. Ce vote n’aura sans doute devant l’Europe que le double caractère d’une protestation et d’une déclaration de principes. L’annexion avec la Sardaigne ne s’accomplira pas, mais le vote ne sera pas stérile. Suivi des manifestations semblables que l’on doit attendre des duchés et des légations, il prouvera l’injustice et l’imprudence que l’on commettrait, si l’on voulait rétablir les anciens gouvernemens malgré les populations. Il obligera les cabinets de l’Europe à songer à d’autres combinaisons, et peut-être préparera-t-il le succès de celle qui serait la plus naturelle, et qui réunirait sous un prince de la maison de Savoie les duchés et les légations.

Le parti clérical vient en Savoie d’essayer une caricature de ce mouvement