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que quelque chose de la chasteté et de la moralité pratique des matrones antiques revit encore dans les ménages des plus humbles pallicares, et que ce peuple enfin pratique assidûment, exemplairement sa religion, s’il n’en a pas un sentiment très épuré. M. About a donc été partial, non peut-être de parti-pris, mais par la force même de son tempérament. Son esprit s’est laissé glisser sur une pente qui lui est naturelle. Il voit de prime-abord le côté défectueux, ridicule, ou coupable des hommes et des choses, avant de voir leurs mérites et leurs bonnes qualités ; il saisit rapidement le point faible d’une institution ou d’un caractère. Or ce sont là, avant toutes les autres, les facultés qui constituent l’écrivain polémiste, dont le talent est essentiellement critique et négateur, et qui, se préoccupant avant tout de l’attaque et de la défense, est nécessairement ou volontairement partial. La Question romaine, très inférieure comme mérite de pensée à la Grèce contemporaine, révèle cependant, par le parti-pris, l’agression systématique, la promptitude à saisir les vices du gouvernement qu’il attaque, par l’injustice volontaire, les mêmes redoutables facultés d’écrivain polémiste. Déjà, sous la plume de M. About, les articles de petit journal, sans être des chefs-d’œuvre de satire, tournaient rapidement aux personnalités blessantes et hasardeuses.

Je ne sais si les Grecs lui ont adressé beaucoup d’injures à propos de son livre ; en tout cas, il aurait tort de leur garder rancune, car ses médisances lui ont porté bonheur. Il doit à la Grèce ses deux succès les plus légitimes, c’est-à-dire l’œuvre de début par laquelle il commença si brillamment sa carrière d’écrivain et la plus charmante peut-être de ses nouvelles, le Roi des Montagnes. Ce dernier livre est un des récits les plus agréables qui aient été écrits depuis longtemps dans notre langue. N’étaient certains défauts dont l’auteur aura, je le crains, beaucoup de peine à se débarrasser, un je ne sais quoi d’artificiel et de convenu dans le dialogue, une plaisanterie un peu trop pointue, vous pourriez présenter le Roi des Montagnes comme un modèle de narration élégante et sobre. Le récit court rapide, incisif, en satisfaisant la curiosité du lecteur à mesure qu’il l’excite. Les romanciers ont trop souvent besoin de longs préparatifs pour exciter votre curiosité, ils vous font volontiers attendre, et ce n’est quelquefois qu’à la cent cinquantième page du récit que l’intérêt du lecteur commence à être éveillé. M. About au contraire ne s’est pas fait prier si longtemps : dès la première page, l’intérêt commence, et va grandissant, toujours imprévu, toujours nouveau, jusqu’au spirituel dénoûment qui termine l’histoire. Ce n’est pas seulement la curiosité qui est éveillée, car il y circule une certaine passion sourde, contenue, violente, qui finit par se communiquer