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conçois qu’ils aient éprouvé un amer déplaisir contre ce livre et réclamé contre l’auteur.

S’il est impossible d’être moins philhellène, il est difficile de médire de la Grèce avec plus d’atticisme. La Grèce contemporaine est.un livre charmant, plein de trait et de malice quelquefois perfide, où la grâce se marier à l’esprit de la façon la plus aimable. Au milieu de ses médisances les plus acérées, un sentiment vif et rapide de la beauté et de la grâce brille par intervalle, comme pour nous rappeler qu’il s’agit après tout de la terre où prirent naissance les dieux et les artistes. Le style est net, sans ombres, d’une sécheresse lumineuse, comme ces paysages de l’Antique que la plume de l’auteur a si bien décrits. La plaisanterie est souvent un peu prévue, mais elle est toujours mordante, et si nous sommes un peu trop prévenus que l’auteur va tirer un feu d’artifice, il est juste de dire qu’aucune de ses fusées ne manque d’éclat. Ce livre eut un vrai succès auprès du public lettré ; il le méritait. On fut ravi de trouver enfin une relation de voyage qui ne fût pas écrite avec des couleurs, qui fût plus humaine que pittoresque, où l’auteur s’occupât plus des hommes que des pierres, des arbres et du ciel. Les voyageurs indifférens à tout, excepté à la nature morte ou à la nature travaillée, abondaient parmi nous ; ce fut une joie de rencontrer un voyageur qui s’intéressait à la nature vivante, qui n’était ni un artiste, ni un économiste, mais un observateur et un curieux. Ce livre, que M. About n’a pas surpassé, donne, selon moi, la vraie mesure de son talent, indique la vraie nature de ses facultés. Je doute que M. About fût destiné par la nature à écrire des romans, mais je crois pouvoir avancer sans beaucoup d’audace qu’elle l’avait destiné à la polémique, et qu’il a peut-être fait fausse route en s’éloignant de la lutte active et quotidienne. Lui-même semble le sentir, et certaines tentatives récentes pourraient être regardées comme une preuve qu’il cherche à rentrer dans cette voie qui est la sienne. Le livre sur la Grèce contemporaine révèle chez M. About toutes les qualités de l’écrivain satirique. Le livre est très amusant, mais M. About conviendra sans peine qu’il n’est pas impartial. S’il eût tenu la balance exacte, le tableau qu’il nous présente de la Grèce moderne eût été fort différend. Certaines qualités du peuple grec qu’il s’est contenté d’indiquer auraient été mises en pleine lumière, certains défauts qu’il a grossis à outrance auraient paru moins choquans. Il est malveillant avec résolution d’un bout à l’autre de son livre, et cependant malgré toute sa malveillance il ressort clairement du récit que, quels que soient leurs défauts, les Grecs sont un peuple spirituel, intelligent au possible, actif, hardi, qui s’entend à merveille au commerce et à la navigation, — que les mœurs de la famille sont pures,